La non moins vaillante petite tailleuse

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Cet écrit a été rédigé par Flore Beaubois, en collaboration avec [[Utilisateur:<Coauteur de l'écrit>|<Coauteur de l'écrit>]], et se trouve sur la nouvelle Esperia.

Livre de quarante pages, couverture de cuir.
Le papier est plutôt lisse, sa couleur d'un blanc lin laisse ressortir les encres sombres. Quelques vergueurs sont visibles si on y regarde de près. [Bonne qualité]

Le texte est manuscrit, les lettres sont soignée. L'encre noire balance des fioritures à tout va. Police de référence : Great Vibes.

Prologue

Répondant au premier tome du Vaillant petit tailleur, la non moins vaillante petite tailleuse est le récit parallèle, celui qui montre l’autre côté et l’autre point de vue. Je l’ai, moi, mis à la première personne, puisqu’il rapporte des sensations et sentiments que nul narrateur n’aurait su mettre en lumière correctement.
Je ne saurais retranscrire, moi, les paroles de sqeha Stanis Bugak : laissez-moi le soin de raconter ce que vivent les proches des soldats.

Chapitre premier : Promesse

Ce jour-là, je terminais une broderie dans notre atelier, notre vieil atelier près de la forge, chauffé par le grand four en face. Les portes étaient grandes ouvertes pour évacuer la chaleur de la fin d’un thermidor. L’air passait, en bouffées rafraîchissantes, sur mes mains de couseuse, tandis que sur mon ouvrage s’amoncellaient les points de croix. J’avais le cœur léger et l’esprit dans mes pensées quand une ombre s’est étalée sur ma broderie, me cachant du soleil. J’ai redressé la tête pour voir là Vallis Belle-Pierre, dans son manteau bleu dont il était si fier, armé de son éternel sourire jovial et contagieux.
“Vallis”, dis-je alors, “Comment vas-tu ?”
Je ne l’avais pas encore vu, aujourd’hui, pourtant nous vivions et travaillions ensemble. Mais comme souvent : durant les vingt années de notre amitié, il avait toujours été discret, bien plus que moi. D’une discrétion éclatante, d’ailleurs, d’une discrétion qui éclairait tout autour de lui.
“Bien, merci ! Je ne fais que passer, j’ai rendez-vous sous peu avec la garde. Et toi, comment vas-tu ?”
J’ai simplement souri, bienheureuse, et j’ai replongé dans les points de croix verts, laissant filer une réponse vague, loin de soupçonner la suite des événements.
“Je vais bien. Fais attention à toi.”
“Bien sûr. Je te promets de revenir, de toute manière, ce soir…”
En parlant, il avait contourné le comptoir et posé je ne sais quoi dans la commode, derrière.
“Ainsi, nous pourrons discuter plus longuement.”
“Je l’espère”, ai-je répondu, sincère. J’avais bien des choses à lui raconter, des commérages aux lettres de ma famille récemment reçues.
Alors il est repassé dans le soleil, imposant dans sa tenue bleue. Nous n’avons pas échangé d’adieux, un simple “Qu’Il te veille” presque indifférent, avant qu’il ne parte et que je ne puisse terminer ma broderie, pas inquiète pour un sou.

Chapitre deuxième : Abrupt

Je finis rapidement mes travaux de couture. En réalité, il m’en restait plein, mais je les ignorais et filais flâner en ville, repoussant l’heure de mes travaux les plus ennuyeux. Vallis étant parti avec toute la garde - du moins, c’est ce que je pensais -, j’allai dîner avec le sire Sulka, discutant de tout de rien au bout de la pointe, au sud. La vue était magnifique et le temps encore chaud, agréable. Nous passions un moment tout à fait sympathique, bien loin des ennuis hordeux. Puis chacun repartit en ville, retournant à ses calmes occupations.
En revenant, je croisais le mestre Louvoy, et après quelques mondanités, nous sommes allés dans les réserves du gouvernement, juste à côté de la herse par laquelle était parti Vallis.
Nous avons rempli d’innombrables caisses de matériaux, jusqu’à ce que le mestre se retire pour un rendez-vous. Moi, je suis restée, assidue à ma tâche. Le temps passait, courait, rapide, quand un cri a déchiré l’air calme des sous-sol, suivi d’un autre ; des éclats de voix, des bruits métalliques, tout cela provenait, désordonné, de l’extérieur, des escaliers étroits.
N'écoutant que ma curiosité, je suis montée, laissant là mes tâches et mes affaires. Je n’avais pas imaginé un instant que ce puisse être le retour des gardes, alors, quand je déboulais hors de mes souterrains, je ne m’attendais pas du tout à ce que je vis.
Toute la garde était là. Hector DeCastel, Günther von Wolfram, Cassien Sulka, Fable Roitelet, même Ambroise Fauve de retour de leur expédition… Mais moi, je ne voyais que Vallis, allongé près de la grille, à même le sol. Son beau manteau bleu, qu’il aimait tant, était troué et taché de sang. Je ne voyais que lui, son visage pâle, livide même, défiguré par la chair à vif sur le côté de son crâne. Les bruits, les paroles m’étaient retirés, et dans la bulle de mon silence incrédule, je me suis approchée. Je me souviens être tombée à genoux, et avoir parlé à Fauve, peut-être crié ; il m’a assuré que Vallis vivait. Un soulagement, immédiatement suivi d’une rafale de peurs : il vivait, oui, mais pour combien de temps ?
Vallis fut déplacé, sur une charrette, jusqu’au dispensaire. Je ne le quittai pas d’une semelle. Sa main, autrefois douce, avait durci, des cals s’étaient formés par les entraînements musclés. Des entraînements qui ne lui avaient servi à rien, de toute évidence. Les médicastres s'occupaient de lui. Moi, j’étais à côté, sans servir à rien, gênant même sûrement, mais j’étais incapable de bouger, incapable de quitter des yeux mon frère mourant. Alors que le silence que je trouvais sécurisant se plombait pour le peser, je le brisais, sans vergogne :
“Vivra-t-il ?”
C’est l’ennen qui me répondit. Le plus calme, le plus sage, et celui en qui j’avais le plus confiance sur la ribambelle de médicastres présents. Il m’assura, avec aplomb, que Vallis vivrait, qu’il se remettrait. Qu’ils allaient l’opérer sans problème, le lendemain soir.
“Il vivra”, répétais-je, et avec ces mots, un soulagement intense me couvrit, me dorlota comme Nounou lors des longs soirs de deuil, consolation précieuse et délicate.

Chapitre troisième : Heurt

Vallis fut amené au Dispensaire du Fort. C’était plus sûr, en cas d’attaque, de le garder là-bas. Je suivais, comme toujours durant cette longue soirée, ombre insipide sur les traces d’un rouquin roussi.
Rassérénée par l’assurance de l’ennen, je veillais un peu Vallis puis me décidais à retourner chercher mon panier, oublié dans les réserves. Je me heurtais à une porte fermée et décidais d’aller trouver l’intendant Fable, que j’avais vu plus tôt au dispensaire. Je m’y rendais donc, l’esprit plus clair et le coeur plus léger, certaine que mon ami n’aurait aucun mal à se remettre. Arrivée dans l’entrée, les doubles portes encore ouvertes, je vis Fable, Fauve et l’ennen discutant ; le dernier dos à moi.
Alors que je levais la main vers le battant, prête à m’annoncer de quelques tocs sur l’huis boisé, le moine termina la phrase commencée :
“Belle-Pierre va y passer”.
Je m’immobilisai. Trahie, bernée, abusée, trompée : mon frère allait mourir et on ne m’avait rien dit. Ambroise Fauve me pointa du doigt, moi qui pâlissais, qui me léquéfiais.
“Beaubois. Là.”
Aamos se retourna, et comme moi, il parut se défaire et pâlir. Mais lui n’avait pas la certitude de voir mourir la personne qui l’avait toute sa vie soutenu.
Les minutes qui suivirent me sont floues. Mon esprit était plus brumeux encore que les rues de la brumaire grise. Je titubais, et je ne sais comment, je me trainai sans un mot jusqu’au Fort. C’est là, près de Vallis, que j’éclatai en sanglots.
Le ridicule, comme le chagrin, ne tue pas, mais il laisse ses marques cuisantes. J’ai, encore aujourd’hui, honte d’avoir été vue dans mon état par les différents passants du Fort. Aucun ne m’a fait de remarque, et je les en remercie.
Jamais je ne m’étais demandée ce qu’il se passerait si je perdais Vallis. Jamais je ne m’étais imaginée la vie sans lui, sans sa douceur et sa présence. Je n’étais pas prête à cela ; ces pensées m’ont heurtée, m’ont poussée, m’ont engloutie sous des tonnes de souvenirs que je pensais perdus. L’espoir de le voir survivre était si faible ! Presqu’inexistant, alors je ne laissais pas aller mes réflexions vers sa flamme ténue - de peur de l’étouffer ou de me faire inutilement embraser.
Vallis ne s’est pas réveillé, ce soir-là. Je l’ai veillé toute la nuit durant ; ou peut-être me suis-je endormie une ou deux fois dans mes pleurs. Quand l’aube est venue, je suis sortie de la pièce et j’ai inspiré les embruns iodés, à pleins poumons. J’ai observé la mer, en contrebas du fort, les vagues qui s’écrasaient avec une tranquillité inlassable sur les rochers, et je ne pensais qu’à une chose : Vallis, qui m’avait promis que dans vingt ans nous irions voir la mer, tous les deux.

Chapitre quatrième : Brouillard

La journée était déjà fort avancée quand Vallis s’éveilla. Je parle bien ici de s’éveiller avec tout son esprit, ou assez pour nous reconnaître, du moins - rien à voir avec ses quelques éveils nocturnes pour hurler sa douleur et sa terreur en cris plus déchirants que les rochers-lames qui fendent le Ponant.
Il m’a immédiatement reconnue, et je n’ai jamais eu tant de plaisir à le voir sourire. Il n’arrivait presque pas à parler, ce jour-là, il bégayait et s’arrêtait fréquemment dans ses phrases pour reprendre son souffle. Alors je restais près de lui, jusqu’à ce qu’il s’endorme. Je n’ai pas osé lui avouer qu’il mourrait sans doute le soir même… Ce n’était pas mon rôle, de toute manière, et je pense qu’il le sentait dans sa douleur.
Dans l’après-midi, je suis allée prendre l’air devant le fort, faire quelques pas loin de l’anxiété du dispensaire. Vallis dormait, paisible. Les rues étaient désertes, et le brouillard dense. Je marchais là où se trouvent à présent boutiques et maisons, un endroit qui était autrefois bucolique et tout à fait agréable. Il y avait un arbre, un pommier, je crois, et je m’y suis adossée pour écrire à ma famille. Mon ami de toujours allait mourir, et il était probable que moi aussi, avec la menace de la Horde…
J’étais donc appuyée à mon pommier, mes pensées s’entremêlaient bêtement. Le vent ne soufflait pas, tout était calme. Les feuilles au-dessus de moi étaient immobiles, leurs nervures tournaient à l’orangé, au doré, brûlées par la saison. Mon fusain bousculait les mots, les plaquait sur les pages vierges de mon carnet. Mais soudain, un cri : il perça la quiétude de mon étude, provenant de l’ouest. Je m’y dirigeai donc, à grands pas, et trouvai Eye-Grime et le sire Silnoë Loysto, bloqué par la herse. Nul garde dans les environs : j’étais seule à pouvoir les aider. Moi, éreintée, incapable de parler de peur d’éclater en sanglots, j’ai indiqué au plus jeune le passage sous la herse, pour qu’il vienne à la nage ; le second, encore convalescent, n’aurait pas pu nager : il est parti chercher une échelle.
Après quelques mésaventures, tout le monde était du bon côté de la herse. Je n’avais qu’à peine conscience de leur présence, j’étais dans un état d’atonie rare, engourdie. Creuse. Les paroles m’arrivaient déformées, entrecoupées, et comme en retard. J’avais l’impression d’avoir trop bu. Le sire Loysto m’a très gentiment ramenée au fort, où j’ai pu retrouver Vallis dans toute ma lassitude, dans toute mon anxiété. Je le remercie d’avoir attendu avec moi qu’il se réveille, et d’avoir su trouver les mots de réconfort qui m’ont fait me sentir un peu mieux.
Le soir est venu, et à vingt et une heures passées, Vallis fut amené au dispensaire pour l’opération.

Chapitre cinquième : Attente

Plantée devant la grande porte du dispensaire, plongée dans l’obscurité, je ressentais tout, sauf mon cœur. Le tapis rêche sous mes genoux, le poids de l’air orageux, la densité du soir brumeux, le courant d’air qui venait de l’entrée grande ouverte pour enserrer mon esprit glacé. A chaque seconde, je me disais que je ne reverrais plus les sourires chaleureux, que je ne rirais plus aux boutades de mauvaise qualité, que je n’aurais plus personne à qui raconter ma journée en détail, plus personne pour discuter de qui avait le plus de charme en ville.
S’il rejoignait le Créateur, je serais seule. Non, d’autres seraient là, mais ça ne serait pas pareil. Jamais ça ne le serait. Vallis étant Vallis, il était irremplaçable et sa mort aurait été trop brutale.
Fable est passé, une fois, me donner quelques paroles d’encouragement. Loysto restait non loin, lui aussi, et me consolait à distance, simple présence réconfortante. Moi, je ne les voyais même pas vraiment. Je voyais le glaive posé au sol, devant moi, celui qui appartenait à Vallis. Je voyais la flamme de l’une des lanternes de l’entrée qui s’y réfléchissait, qui dansait dessus, et moi, je priais. Enfin je comprenais la déception du Créateur quand les Hommes s’étaient entre-tués. Enfin je comprenais la douleur de la Mortalité, de Sa punition.
J’avais déjà vécu des deuils, des proches à pleurer, mais aucun d’entre eux n’était Vallis. Même mon père : j’avais été triste, mais je n’avais pas ressenti cet accablement, cette affliction profonde qui m’empêchait de vivre et rendait chaque respiration douloureuse.
Le poing droit sur le cœur, prostrée sur le glaive, dans l’obscurité et le silence de la petite salle, le silence m’accompagnait. Je n’entendais pas même les murmures ou éclats de voix derrière la porte. Là bas, ce ne sont pas un, ni deux, ni trois mais bien quatre médicastres qui s’affairaient sur mon frère. Lui, le ventre barré d’un bandage plus épais qu’une tourte, le visage couvert d’onguents, n’avait même pas conscience de la peur, de la douleur qui rythmaient ces jours-là. Il ne l’a jamais eue. Les convalescents pensent souvent qu’ils sont les seuls blessés.
La flamme de la lanterne dans l’entrée finit par s’éteindre. Deux heures déjà sont passées, le bâtiment est obscur. Où est mon falotier ? Où est l'allumeur de lanternes qui autrefois entretenait la flamme de mon entrain ? Blessé, ou bien mort, il repose dans la salle d’à côté.
Le temps est long. La porte s’ouvre une fois, Aalaug s’extirpe de la pièce. Elle va à pas pressés, file vers l’étage. Elle ne répond pas à mes interrogations, même en revenant. Elle claque la porte derrière elle. L’attente reprend.
Rien ne cadence les minutes qui passent, sinon mes pleurs. Je pensais m’être asséchée. J’ai de la ressource : encore quelques larmes.
La nuit s’était bien avancée. Je connaissais par cœur chacun des éléments autour de moi. La table du fond, la porte des jardins, celle de la réserve, le tapis bleu et les bibliothèques vides derrière moi, sous les escaliers. Je vois encore la porte de pin, sombre, percée d’une poignée du même bois. Lourde et fermée. Je la vois encore s’ouvrir, je la vois encore laisser passer les soignants épuisés.
“Il vivra”, m’a répété l’ennen. Et cette fois, c’était vrai.

Épilogue : En vie

En vie. Il était en vie, j’étais avec lui, et après un peu de repos, il me reviendrait, tout redeviendrait comme avant. La Horde pesait toujours, mais elle était si insignifiante face à la vie de mon frère !
Ce soir-là, je lui ai lu toutes les Fables de Loghéans de mon recueil. Il ne m’entendait sûrement pas, mais qu’importait : il ne se réveillait pas et je suis sûre que c’est un peu, aussi, grâce aux fables de notre enfance.
C’est en s’éveillant qu’il m’a fait la première promesse qu’il n’a pas tenu : celle de cesser de se battre en première ligne. Il y a mille façons de participer à une guerre et c’est avec désolation que je le vois choisir la plus brute sans même y réfléchir.
En vie, mais pour combien de temps ?