Les feux de Nivôse

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Cet écrit a été rédigé par Ingeborg Offersen, en collaboration avec Gerard Nansen, et se trouve sur l'Ancien Monde.

Par la Prime-Archiviste de Golvandaar Ingeborg Offersen et l'historicus Gerard Nansen Rédigé en l'an 504

Préface

Les feux de Nivôse sont un évènement majeur de l'histoire continentale. Bien que son nom soit une référence au point de départ de sa période violente, les feux de Nivôse constituent une longue période de lutte entre le monachisme adaarion et le phalangisme hura et qui s'acheva enfin par le grand Concordat de Roskilde. Cette période constitua les moments les plus sombres de l'histoire religieuse de nos royaumes. Elle est d'ailleurs notoirement reprise par les prêtres des sept déesses et notables nordiques désireux de renvoyer tout missionnaire de l'Arbitrio dans ces contrées comme un exemple des erreurs et de la corruption de nos cultes. La critique parait bien fallacieuse quand l'on songe aux actions actuelles des phalangistes et des moines dans notre bon continent. Cet ouvrage se veut objectif et preuve de l'amitié désormais ancienne et respectable entre Golvandaar et Odense. Qu'il puisse inspirer notre jeunesse à se souvenir des faits du passé et d'en tirer des leçons pour que les Choix de demain soient ceux de la Justice et conforme au bon Arbitrage.

Chapitre I : la naissance des phalangistes

Si certains considèrent que la lutte entre les monachistes et les phalangistes date du début des violences, il n'en est rien. Il faut pour cela revenir jusqu'en l'an 153 dans la province d'Huratelon. A cette époque, Huratelon connaissait une grande turbulence. Son seigneur du nom de Reginar d'Huratelon, alors très imbu de la prospérité que connaissait durant cette décennie sa province, bataillait très largement auprès de l'empereur pour disposer de davantage de pouvoirs, appuyé en cela par d'autres gouverneurs de diverses provinces. C'était alors une époque de grande défiance ambiante vis-à-vis de l'empereur. Certains disent qu'il s'agissait à l'époque d'une idéalisation de la révolte de Lig Ocolide encouragée par la colonisation libre de Lig Ocolide à cette époque. Bien entendu, si cette lecture de l'histoire s'avère correcte, il est risible de penser qu'à cette époque, des ignorants s'imaginait que Lig Ocolide pouvait devenir quelque paradis libre de la férule impériale alors que tout ce qui s'y préparait n'était qu'une misérable parodie de société fondée sur la loi du plus fort et la compétition dans le vice. Quoiqu'il en fut, l'empereur devait ramener de l'ordre, ce que l'invasion des clans nordiques devait lui permettre réellement vingt ans plus tard, et pour cela, il choisit de détourner l'attention. L'empereur était alors un homme peu religieux et méfiant du missionnariat des moines décennies de missionnariat fort charitable. L'empereur voyait alors cette expansion comme un danger. Peut-être fantasmait il que Golvandaar cherchait à reconstruire Castel-Roc pour le supplanter ? Qui sait ce qui pouvait se penser à cette époque? Le résultat est connu. L'empereur offrit un droit officiel d'Huratelon à organiser le culte et le seigneur s'en délecta.

De retour à sa capitale provinciale, Reginar convoqua une grande réunion de ses vassaux et organisa un grand conclave de fondation de la foi hura. Tout à son excitation d'obtenir grand droit sur ses terres, il fit diffuser partout que sous peu, une grande charte de la Foi en l'Arbitrio serait écrite. L'échec fut on ne peut plus retentissant. Le conclave de la noblesse s'était refusé à inviter tout théologien adaarion et les Honorables de l’ancienne foi fuyaient alors les villes par peur des disciples de Golvandaar. Le résultat étant que le conclave se fit entre personnages dont une infime minorité seulement était pratiquante. Les discussions n'allèrent nulle part et très rapidement. Il est intéressant de savoir que le jeune fils d'un des nobles présents et qui l'avait accompagné n'était nulle autre qu'Axel de Bonne-Naissance, l'un des plus grands théologiens de cette époque. Celui-ci devait reprendre le détail des discussions de ce conclave comme base d'un grand enseignement sur l'ignorance et l'importance du respect du aux érudits. Après un mois de conclave, la grande charte fut répandue dans tout le royaume en ne contenant que deux messages très largement entourés de commentaires et explications répétitives: «tu feras tes choix dans la justice» et «tu seras fidèle à ton seigneur». La grande charte n'a depuis cessée d'être reprise par tous les théologiens et érudits non-théologiens comme un archétype de mauvaise prose. Anecdotiquement, l'expression «conclave hura», exprimant comme chacun le sait un évènement très largement annoncé et attendu ne débouchant sur rien, date de cet évènement. L'érudit reconnaîtra également que le terme savant de «conclavisme» désignant un argumentaire disproportionné entourant un message simpliste vient également de là.

Ce conclave n'aurait finalement eu qu'une importance extrêmement limitée si le seigneur hura avait simplement reconnu son échec et laissé lettre morte son privilège. Il n'en fit rien et organisa au sein de son armée provinciale - alors divisées en forces autonomes appelées phalanges - une nouvelle phalange composée de soldats croyants et éduqués sous les ordres de la Première Lance - un office militaire Hura d’alors - Tancred. Celle-ci devait être chargée de surveiller la bonne application de la charte et son respect par les missionnaires adaarions ainsi que les croyants. Anecdotiquement, le modèle choisi pour cette phalange devait donner plus tard une ébauche de ce qui allait devenir l'ordre de la chevalerie hura. On peut d'ailleurs assumer que le choix de ne faire aucune référence à la religion dans son code, tout comme la frilosité de la noblesse hura à l'égard de la religion, trouve son origine dans l'échec du privilège théologique d'Huratelon. Dans les années qui suivirent, la phalange fit preuve d'un zèle certain, bien au-delà des espérances du seigneur Reginar. Finalement, le tribunal provincial qu'il dirigeait en sa qualité de gouverneur de la province se retrouva débordée par les requêtes religieuses. Le seigneur chercha alors diverses méthodes pour éloigner cette envahissante question religieuse. La première fut d'installer la phalange religieuse à Odense, une petite ville dans le sud de la province, en 156. En 158, un édit provincial conféra à la phalange le droit de tenir tribunal. En 163, la phalange obtint droit de recrutement et de serment pour maintenir ses rangs. En 164, la phalange reçut une dotation fixe et un droit de lever taxe sur la charité et les actes religieux. En 165, la phalange reçut le droit d'autonomie dans ses affaires internes. En 167, enfin, le seigneur Reginar désormais connu sous le nom de «Reginar à la grande voix» décéda et son successeur délégua dans sa totalité le privilège d'organisation du culte à la Phalange. Le phalangisme était né.

Chapitre II : Ulric et Tancred, réformateurs et expansionnistes

Une fois libre de tout contrôle d'Huratelon désormais bien trop occupé à gérer une série de sécheresses et un conflit avec la Capitale au sujet de l'alimentation en céréales des provinces du Cœur de l'empire central, Tancred dit le Sévère s'entoura de plusieurs théologiens, notamment des missionnaires adaarions découragés, et organisa un long œuvre. Au bout de deux ans, l'abbaye d'Odense disposait d'une littérature honorable pour l'époque et avait très largement peaufiné sa doctrine religieuse, mettant de côté la peu glorieuse charte. Si le message demeurait fidèle au culte de l'Arbitrio et donc très similaire à la doctrine du monastère de Golvandaar, on peut tout de même discerner quelques différences majeures entre les deux doctrines à l'époque. Tancred avait reformé la doctrine de l'Arbitrio autour de la notion de hiérarchie, de loyauté et d'opposition entre croyants élus d'une part et incroyants et ignorants d'autre part. Il donnait ainsi à la Phalange un rôle très différent de celui des moines: les phalangistes comme on commençait à les nommer étaient tout à la fois enquêteurs, juges, bourreaux, geôliers et gardiens. Comme on le sait, le monastère a toujours défendu l'idée d'une société d'ordres harmonieuse et pacifique fonctionnait sur les accords communs guidés par une foi et une loi commune. Le théologien Urili de Caroggia a joliment écrit en 411 qu'Odense et Golvandaar s'opposait alors sur la question de savoir si la société devait être d'ordre ou d'ordres, une distinction devenue idée populaire et ignorante de l'amitié de la Foi. Plus anecdotiquement, Tancred voulut se distancier du monachisme adaarion en rejetant la langue traditionnelle et choisit d'accorder ses termes selon des sonorités nouvelles. L'érudite Inge d'Odense a certifié dans un colloque que la langue utilisée pour trouver les termes officiels était en réalité une vieille langue sacrée. Elle considéra que Tancred avait obtenu l'idée d'un ancien prêtre converti dans sa Phalange dans le but d'amadouer ceux qui avaient rejeté les Adaarions au nom de l'ancienne religion. Il est cependant possible que Tancred ait eu l'idée lui-même.

Après cette refondation de la Foi, Tancred mena une purge agressive en mettant tous les moines et missionnaires de la province d'Huratelon face à un ultimatum : accepter l'autorité phalangiste ainsi que sa doctrine ou en subir les conséquences. On vit alors un grand nombre d'exils qui donna lieu à une rare diaspora hura. Golvandaar ne manqua pas de réagir mais elle ne disposait alors d'aucune écoute à la cour impériale, ses émissaires étaient persona non grata à Huratelon et le Monastère ne disposait d'aucune branche armée capable de protéger ses moines sur place. Petit à petit, les phalangistes imposèrent leur contrôle sur l'ensemble de la province d'Huratelon. L'histoire aurait pu s'arrêter là mais aucun des deux camps n'étaient désireux d'en demeurer là.

A Golvandaar, le Monastère demeura longtemps indécis sur la décision à suivre. Le consensus à l'époque était que le phalangiste n'était qu'une résistance comme celle connue dans le Nord et qu'il fallait simplement changer de région pour le moment. Ce fut à l'arrivée en 174 du nouveau Sovitelija du Monastère que Golvandaar changea sa position. Ulric Puristi prit l'office. Ulric était connu pour son volontarisme et sa sévérité, réputation qui ne fut jamais dépassée dans l'histoire. Urili de Caroggia, théologien amateur de bons mots, remarqua la proximité entre Ulric et Tancred, allant jusqu'à dire qu'Ulric était sans doute le plus phalangiste des anti-phalangistes. Ulric institua ainsi un nouvel office au sein des monastères et des missions, le Kanttori. Le kanttori était ainsi chargé officiellement de faire les appels à la prière, d'appeler les fidèles, de mener les chants religieux et fêtes religieuses ainsi que de faire sonner le carillon des Majakkets, une invention d'Ulric qui traversa les âges de façon un peu plus glorieuse. Les kanttoris avaient cependant une autre charge, celle d'organiser le Puhtaus. Le Puhtaus fut le nom donnée à la nouvelle communauté locale des fidèles. Cette communauté devait maintenir sa pureté et se défendre face aux corruptions extérieures. L'ennemi était alors clairement défini comme le phalangiste.

Les frontières hura et adaarionnes devinrent dans les années qui suivirent des régions emplies de tensions et d'escarmouches entre miliciens de Puhtaus et moine-guerriers phalangistes. Cependant, en dehors de ces incidents de frontière souvent étouffés par les abbus et apottis, Ulric et Tancred ne tentèrent jamais de pénétrer leurs territoires respectifs, sans doute conscients de leurs moyens encore trop faibles. C'est ainsi que de nombreuses décennies suivirent où l'on vit les différentes régions animées par des praedicatores phalangistes et des moines vaelta adaarions y menant de grandes éducations populaires. Progressivement, les villes converties voyaient alors la violence augmenter où l'on voyait des moine-guerriers mener une dure chasse aux impies avec toute la froide efficacité de la soldatesque et les kanttoris organisaient de véritables pogroms dans de dramatiques cas extrêmes.

Chapitre III : la conversion de l'empereur

Après la mort de l'empereur en 185, la mise au ban des missionnaires huras et adaarions à la Capitale cessa. En effet, l'empereur élu à sa suite ne partageait pas sa méfiance de la religion et avait fait savoir par le truchement de ses nobles qu'il cherchait à en apprendre plus sur ces nouvelles religions de l'Est. La nouvelle fut rapide à arriver. Cette période se trouva ainsi marquée par trois personnages : l'honorable Guirrec, Aymeric de Valeth et Wilhelm Jansen. L'honorable Guirrec était alors l'honorable de la cour impériale, ces prêtres de l'ancienne foi en l'Arbitrio à qui l'on reconnaissait un statut d'homme à la justice parfaite. Si cette idée n'est plus guère ne fut-ce que connue par la plupart des croyants, ces personnages possédaient alors une considérable influence et constituaient les principaux ennemis des missionnaires de la foi adaarionne et hura. Le vieil honorable avait cependant cela de différent qu'il avait conseillé tout au long de son règne l'empereur précédent. Urili de Caroggia dit de lui qu'il fut probablement le seul homme depuis les fondateurs même du Monastère de Golvandaar à tenir le sort du culte de l'Arbitrio entre ses mains. Nous n'irons certainement pas jusqu'aux formulations radicales de feu, notre confrère Urili, mais il est certain que l'honorable Guirrec fut l'un des plus grands adversaires de la civilisation du culte de l'Arbitrio. Aymeric de Valeth était l'apotti d'un petit monastère dans la région de Golvandaar dont il a gardé le nom tant il avait réussi à mettre un monastère insignifiant d'un village méconnu parmi les maisons d'Arbitrio les plus renommées de son temps. L'homme passait pour un théologien autodidacte remarquable et un orateur d'excellence capable de rivaliser avec les meilleurs kantorris. Il avait progressivement grimpé les marches et avait été admis au sein du Valtuusto par Ulric Puristi lui-même peu de temps avant sa mort. Brillant diplomate qui avait arraché d'excellents traités aux nordiques dans la ligne de la paix au cours de son service, il avait été tout naturellement choisi comme le plus apte à convaincre qui que ce fut de la justesse de la foi adaarionne. Wilhelm Jansen était le plus jeune de ces trois grands théologiens bien que de peu le cadet d'Aymeric. Il venait d'être appointé Archivus d'Odense. Homme de lecture avide jusqu'au point, selon certaines mauvaises langues, du vice, il avait une réputation de connaissance pure telle qu'il avait été le premier phalangiste à être autorisé à participer à un grand conclave. Une rumeur de l'époque voulait qu'il ait repris Ulric Puristi en personne sur une citation incorrecte durant cet événement, mais les mémoires de Tancred révèle qu'il avait lui-même inventé l'anecdote pour «faire bouillir une dernière fois l'ego de [son] vieil ennemi». Ce fut par ailleurs ce dernier, toujours abbus malgré son âge canonique, qui nomma Wilhelm émissaire auprès de l'empereur.

Bien qu'Aymeric et Wilhelm arrivèrent à des dates différentes, l'empereur refusa d'en rencontrer l'un avant l'autre. En effet, l'empereur converti était, comme les écrits de l'époque permettent de le penser, un homme très tolérant et passionné qui souhaitait s'intéresser au culte organisé sans vision politique. Tel était alors la tranquillité reconquise des empereurs. Dés lors, ce n'est que durant un mois de Nivôse de 189 que les deux hommes furent reçus au cours d'un grand bal. L'honorable Guirrec intervint peu après leurs introductions respectives et lança un défi aux deux jeunes gens : prouver que leurs fois respectives étaient supérieures à la sienne et à celle de l'empereur. L'empereur fut notoirement amusé et intéressé par l'attitude de l'honorable. Il commanda alors aux trois hommes de se départager par des épreuves et de se présenter formellement à lui lorsqu'ils seraient enfin parvenus à reconnaître en leurs qualités d'hommes un vainqueur. Le célèbre Urili de Caroggia eut, quant à cet événement, une vision à nouveau bien à lui en considérant que l'empereur avait choisi cette voie sans issue afin de s'assurer que sa conversion demeurerait sans effet pour lui et qu'il lui était permis de mener très librement sa politique et de calmer les deux trublions qu'auraient alors été le protectorat de Golvandaar et la province d'Huratelon. Urili poussa jusqu'à considérer que l'empereur avait choisi pour s'assurer que les deux camps demeureraient calmes et dociles en leur faisant miroiter un si grand bénéfice tandis qu'il lançait au Nord la grande campagne de la Zaraga. Toujours est-il qu'en effet, Huratelon fournit de larges troupes et que l'on vit même des troupes phalangistes pendant la conquête de la région.

Les grands débats et mise à l'épreuve sous le regard de l'empereur furent probablement l'un des événements de l'histoire religieuse que l'on connaît aujourd'hui avec le plus de force car les Ordalies de Guirrec comme on les nomme ont fait l'objet de très nombreuses œuvres artistiques portant sur des épisodes réels ou non : pièces de théâtre, chansons, ouvrages, poèmes, romans. Si il n'est guère possible de distinguer le vrai du faux, l'on sait cependant qu'un événement eut bel et bien lieu. En 193, l'empereur, de retour de la Zaraga, découvrit que les trois hommes continuaient de débattre périodiquement. Il aurait alors signifié aux trois théologiens qu'il était finalement las de leurs débats interminables et de leurs joutes. Guirrec soumit alors à l'empereur une finale ordalie : la capitale de l'empereur offrirait aux deux camps le droit de construire à leurs frais un lieu de culte et que citoyens et nobles de Sa cité départageraient les trois camps. L'empereur accepta.

Deux ans durant, la région de la Capitale fut le théâtre de grandes tribunes religieuses et de diverses joutes verbales entre représentants des différents groupes. La conversion de la Capitale fut difficile car les trois camps bénéficièrent de chauds partisans. Pourtant, aucun pogrom et aucune attaque en règle n'eut lieu. Il est clair qu'alors, Golvandaar et Odense surveillaient de très près les actions de leurs émissaires sur place afin de ne donner d'arguments aux autres camps. Il est probable également que ce fut précisément le contraire de ce qu'avait envisagé l'honorable Guirrec, espérant sans nul doute que les deux camps causent tant de troubles que l'empereur ne les chasse. C'est un point sur lequel nous rejoindrons le célèbre Urili de Caroggia. Durant la seconde année, cependant, il est clair que la verve et le charisme d'Aymeric de Valeth furent déterminants et la Capitale glissa lentement en faveur de la foi adaarionne aussi bien au sein de la populace, très réceptive à la charité caractéristique de l'action du Monastère, que de la noblesse, appréciant le charme du moine. Wilhelm Jansen, de son coté, devenait de plus en plus incapable de séduire les foules avec ses discours extrêmement pointus. Enfin, le vieillissant Guirrec perdait lentement son influence tout comme sa santé. L'ultime acte de cette suprême ordalie fut la conversion de l'épouse de l'empereur à la foi adaarionne grâce à Aymeric lui-même. L'affaire fit grand bruit et la noblesse conservatrice autant que la noblesse convertie au phalangisme tentèrent d'obtenir de l'empereur qu'il répudie son épouse pour sa désobéissance. L'empereur calma temporairement les ardeurs en annonçant qu'il se retirait pour méditer sur ce qu'il devait advenir. Cependant, les jeux étaient faits et il est manifeste que Golvandaar avait remporté l'ordalie même sans ce coup d'éclat. Dés lors, l'empereur réunit sa noblesse et annonça qu'il se convertirait à la foi adaarionne. Des remous eurent lieu et l'on craignit un moment que la Capitale ne sombre dans la violence. Cependant, Tancred créa la surprise en se rendant à la Capitale auprès de l'empereur en compagnie du successeur d'Ulric, décédé de maladie dans une visite à ses missions dans la Zaraga conquise. Ce fut la première et unique fois avant le Concordat que les dirigeants des deux religions étaient vu ensemble. L'empereur les reçut en colloque secret. Un mois plus tard, l'empereur se convertissait dans le Monastère capitalin. Le mois suivant, Tancred regagnait Odense en compagnie du second fils de l'empereur, Reybaud, désormais apprenti phalangiste. De même, l'empereur ne visita jamais ni Golvandaar, ni Odense. Il est certain qu'à cette époque, l'empereur avait choisi dans une grande sagesse d'apaiser les deux cultes de l'Arbitrio et que sa foi n'était sans doute pas aussi pure que l'on put l'imaginer. Cependant, en prenant officiellement partie, il engagea la totalité de l'empire dans une voie et offrit à Golvandaar un statut très particulier. Dans le même temps, il créa une funeste frustration à Odense, malgré la belle dignité de Tancred avant sa mort, qui ne pouvait déboucher que sur la violence des décennies suivantes.


Chapitre IV : la guerre

Après la mort de Tancred et d'Ulric ainsi que la conversion impériale, l'empire et ses protectorats connurent une période de grand calme. Les régions acquises à l'une et l'autre région étaient ainsi relativement calme tandis que les régions disputées étaient soit trop éloignées pour perturber la paix impériale, soit trop proche de l'empereur pour que les missionnaires se laissent aller aux violences. Ainsi, les phalangistes contrôlaient une forme de Grand Huratelon, dominant totalement la province d'Huratelon, de Gyllendal et de Steiertal. Les phalangistes étaient également présents dans l’Est de l’Aon et dans le Roment. De même, les missions armées phalangistes possédaient une immense popularité dans les colonies rurales et les villages de la Zaraga où ils étaient synonymes de protection face aux nordiques, déserteurs impériaux, animaux dangereux et autres bandits. Le Monastère de Golvandaar contrôlait alors toute la grande chaîne de montagne et sa population adaarionne. Dans les régions impériales, il contrôlait le Bogen, mais également les Marches, l’Ouest d’Aon et Albunae. Aussi, il possédait une belle popularité à Septentrion, la nouvelle capitale provinciale de la Zaraga, en y offrant les seules possibilités de soin, d'éducation ou de culture. Enfin il possédait une belle avance sur les phalangistes dans le protectorat de Caroggia et la Dione où les phalangistes entretenaient de mauvaises relations avec les marchands. Le Sud-Ouest de l'empire, et plus précisément Medeva, demeurait un bastion de la vieille foi où la populace préférait s'adonner à ses traditions et à pourchasser les nomades qadjarides qu'écouter les missionnaires qu'ils fussent monachistes ou phalangistes. De fait, ces contrées demeurent encore à ce jour parmi celles où l'on trouve le moins d'abbayes ou de monastères aux exceptions des ports fortifiés d’Iona et Indubal ou de la ville de Guevrac.

Le successeur d'Ulric à Golvandaar fut Astaarzon le studieux, un homme calme et plus distant du Puhtaus que ne l'était Ulric. Il dédia sa période de médiation au sein du Valtuusto de Golvandaar à favoriser la mission caritative du Monastère au sein même de sa cité de Golvandaar. On se souviendra ainsi que c'est à sa très sage gestion que l'on doit l'enseignement obligatoire dans la cité. Ces écoles portent ainsi souvent l'emblème d'Astaarzon - le livre et la plume – par-dessus leur portail d'entrée. Astaarzon parvint ainsi à reconduire la grande popularité d'Ulric tout en se montrant moins rude et plus bienveillant que son illustre prédécesseur. Les missions, sous sa gestion, se firent également moins agressives en laissant la place aux moines enseignants et aux moines médicastres. De son côté, le successeur que Tancred avait défini comme son héritier avant sa mort était également un homme très doux et favorable à la détente qui marquait Tancred après la mort de son rival adaarion. Lothaire l'orphelin fut notamment remarqué pour cultiver le lien qu'il possédait avec l'empereur au travers de Reybaud qu'il tenait très près de lui. Lothaire lui délégua d'ailleurs toutes les apparitions en son nom à la Capitale ou dans les missions de la Zaraga. De son côté, Lothaire consacra la majeure partie de sa vie à améliorer l'Abbaye d'Odense, cherchant notamment bien que sans grand génie, à égaler Golvandaar. De cette époque, l'on se souviendra d'éléments qui survivent encore de nos jours : les jardins d'Odense, une merveille où le mausolée de Tancred demeure un grand lien de pèlerinage des moines-guerriers, et la grande Brasserie de l'abbaye. Si d'aucun songent que doter un ordre de religion guerrière d'une aile de brasseurs et de viticulteurs était futile, l'action de Lothaire permit à Odense de diminuer sa dépendance des taxes religieuses et adoucit l'action phalangiste. Il est ainsi difficile de rechercher cette histoire sans afficher un sourire ne fut-ce que léger tant cette période fut porteuse de doux changements. Urili de Caroggia n'en disait-il pas que les chats sauvages avaient cédé la place aux chats de maisonnée ? Pourtant, cette époque portait les graines de la haine car Tancred et Ulric, malgré leur fin de vie moins belliqueuse, avaient habitué bien des disciples à une attitude guerrière et la rupture qui fut celle de leurs successeurs fit bien des mécontents, causant un grondement grandissant. La tentative, en 226, de Lothaire de faire la paix avec le Monastère en invitant Golvandaar à lui envoyer un émissaire fut sans doute le coup de trop pour ceux qui espéraient voir les missions de l'Arbitrio se parer de bannières ensanglantées.

En 227, Lothaire décéda, empoisonné. Sans suivre la méthode d'élection instituée à la mort de Tancred, l'un des moines-guerriers revenu un an plus tôt auréolé d'une réputation de grand guerrier de la Zaraga du nom de Joris Preverien réunit le conseil des sages phalangistes et y annonça qu'il prendrait la direction de l'Abbaye. Il énonça immédiatement que le responsable de la mort était le vil ambassadeur adaarion. Sans procès, le malheureux fut bouilli vif. Dans le même temps, Joris fit mettre le désormais frère du nouvel empereur au secret au nom de son espionnage et de son parti pris pour Golvandaar. Reybaud fut par ailleurs fort rapidement rejoint dans sa captivité par tous les sages un tant soit peu modéré ou pacifique – principalement de vieux fidèles de Lothaire et de Tancred - que pouvait compter le conseil. Celui-ci fut ainsi reformé et entièrement composé d'hommes belliqueux ou de proches de Joris Preverien, prêts à le suivre jusqu'au bout. En à peine une semaine, Joris ordonna à ses abbayes du Gyllendal de lever ses troupes et d'en expulser les monastères. Pris par surprise, les monastères adaarions furent rapidement détruits et seuls quelques moines survécurent aux massacres. Parmi les survivants, beaucoup fuirent à Golvandaar pour y chercher refuge tandis que les Kantorris survivants levèrent le Puhtaus dans la région et répliquèrent avec une rage inégalée. Le massacre de Gyllendal commença. Des familles furent déchirées, des villages ravagés, des champs brûlés au nom de l'interdiction de soutenir l'ennemi honni. Dans les villages où les phalangistes étaient présents, des tribunaux organisèrent des parodies de procès où tous ceux qui avaient eu un lien avec les monastères subissaient d'infects châtiments. Les kantorris, de leur côté, organisèrent d'immondes lynchages de quiconque ne hurlait pas sa haine de la Phalange. A Golvandaar, le Valtuusto fut totalement dépassé, Astaarzon ne sachant que faire face à cet étalage de violence. Les moines lui forcèrent alors la main et il fut poussé à se retirer pour entreprendre ces études. C'est un Kantorri jusque là parfaitement inconnu du nom de Synalmak qui prit le pouvoir. Synalmak était cependant de la même trempe d'homme que son adversaire et au moins aussi sournois. Tout comme Joris avait enflammé le Gyllendal, Synalmak décida d'enflammer les vallées du Bogen. Ces vallées constituaient une région qui avaient survécu aux purges de Tancred et où la communauté de la foi adaarionne avait prospéré durant la détente que fut le pouvoir de Lothaire. Synalmak y fit rappeler les Kantorris et les remplaça par des hommes de son choix, des personnages violents et abreuvés de ses propres idées de haine. Il ne fallut guère de temps pour que le Puhtaus de la région ne deviennent l'un des plus violents qui fut. Des pogroms débouchant sur des lynchages publiques eurent lieu dans toute la région. Le Puhtaus évolua en une véritable masse armée, renforcé par des étrangers de tout l'empire, eux aussi désireux d'en découdre avec les phalangistes. Synalmak fit tenir dans la région à la population plusieurs mois d'un entrainement militaire radical.

En 228, le Puhtaus pénètra la province d'Huratelon, pillant et incendiant au nom de la pureté de leur foi et de la souillure des phalangistes. Désemparé, le seigneur d'Huratelon tenta de mobiliser ses troupes mais les chevaliers, à cette époque encore liées aux phalangistes par serment de foi, désobéirent et refusèrent de ramener l'ordre. De son côté, Joris leva ses moines-guerriers et mena une véritable campagne militaire contre le Puhtaus. Après d'initiales défaites, Synalmak fit renforcer le Puhtaus en Huratelon par des mercenaires et, selon les rumeurs, des nordiques en échange de promesses de riches pillages. En 229, le village d'Ingbern fut le théâtre d'une grande bataille rangée durant laquelle une force phalangiste fut taillée en pièce par le Puhtaus et ses mercenaires. Du village, il ne demeurera rien et la légende veut que les mercenaires de Synalmak poussèrent le vice jusqu'à saler les champs pour priver les phalangistes de toute nourriture. Joris ayant déplacé ses forces dans le Nord d’Huratelon et le Gyllendal, Odense se retrouva sans défense. De fait, Synalmak pénétra sans grande résistance dans le Steiertal, jusque là épargné. L'abbus, sans doute apeuré de voir son adversaire si peu facile à abattre malgré l'entrainement de ses propres moines-guerriers relâcha Reybaud en lui donnant mission de convaincre l'empereur de constater la vilenie du Monastère et de rallier la vraie foi. L’erreur devait être fatale à Preverien mais elle fut sans doute plus funeste encore pour les populations locales, livrées à une guerre d’une intensité qu’ils n’avaient jamais connu. En 230, sous les conseils de Reybaud et de la veuve impériale, l'empereur prit partie pour Golvandaar et envoya des troupes mater les phalangistes en campagne. Le seigneur hura, sommé de se joindre à son empereur, fut au désespoir de voir ses chevaliers gagner les rangs phalangistes au nom de la trahison de l'Empereur envers son peuple et la Foi. Le Puhtaus, mené désormais par Synalmak en personne, se rangea docilement sous la bannière impériale et renvoya ses mercenaires afin d'adoucir l'image de son armée de mort. Plusieurs batailles eurent lieu au cours desquelles les phalangistes et chevaliers opposèrent une résistance rude, infligeant des pertes énormes à l'armée impériale. Cependant, la loi du nombre s'imposa et l'armée du Joris diminuait chaque mois davantage.

En janvier 231, l'armée impériale entama le siège d'Odense elle-même. Reybaud tenta, dans l'espoir de sauver de la destruction l'Abbaye à laquelle il avait dédié sa vie, d'offrir un ultimatum à Preverien : qu'il se rende, qu'il libère les sages et Odense serait épargnée. Preverien, qui était de ces hommes qui voient dans la mort l'arme à la main une victoire en elle-même, refusa. Ainsi débouté, Reybaud ne put alors qu'assister, impuissant, au siège de sa cité d'adoption par les troupes de l'empereur et les hommes de Synalmak. Le siège dura plusieurs mois, les tentatives d'assauts des premiers jours s'étant heurté à une résistance acharnée des vestiges de l'armée de Preverien qui ne comptait plus alors que des hommes qui lui étaient fidèles jusqu'à la mort ainsi que de nombreux vétérans endurcis de la Zaraga. C'est en août, de nuit, qu'Odense tomba finalement sous l'attaque impériale et les derniers fidèles de l'abbus félon méthodiquement massacrés. L'on peut s'étonner que l'Abbaye elle-même demeura relativement préservée. Les mémoires de plusieurs hommes de l'époque racontent que Reybaut n'avait jamais abandonné son plaidoyer en faveur de la clémence pour l'Abbaye, manipulé par l'abbus aux mains sanglantes. Au final, l'empereur fut sensible à l'espoir de son frère de voir l'ordre de moines-guerriers purgés des traîtres qui avaient mené la guerre et Synalmak ne put rester qu'en retrait. Joris Preverien fut capturé vivant au sein de l'Abbaye. Le conseil des sages n'eut guère droit à de tels égards et furent de ceux que l'on livra aux hommes de Synalmak. Joris, lui, fut jugé selon la mode impériale et pendu haut et court sous les cris de joie du Puhtaus. L'Empereur plaça ainsi son frère à la tête de la Phalange, celui-ci jurant que la violence s'achèverait, et accepta qu'il s'entoure de ses compagnons d'infortune, ceux des sages qui avaient vu clair au travers de Joris Preverien et qui avaient du payer leur clairvoyance par leur liberté. Cependant, de son côté, Synalmak demeurait également en place pour le plus grand malheur des huras. Celui-ci n'avait nullement le désir de laisser Huratelon et la foi phalangiste en paix tant qu'il ne pourrait boire en usant du crâne de feu, Tancred, comme coupe. La masse de survivants du Puhtaus, bien qu'affaiblie par deux années de campagne et l'affrontement d'ennemis bien plus expérimentés à l'effroyable art de la guerre, demeurait présente et abreuvée d'une haine si éloignée de la vraie foi en l'Arbitrio que l'on ne peut qu'en frissonner. Synalmak ne fit rien pour dissiper cette soif de violence après le départ de l'empereur et l'année 231 vit Huratelon ravagée par les violences et bien des régions habituées à se nourrir sur les marchés huras subirent la disette, voire la famine. L'empereur, songeant un temps que les troubles étaient du à des déserteurs fidèles à l'abbus félon, n'intervint pas.

En 235, ce fut de Golvandaar que vint le choc qui mettrait fin aux violences. Un jeune moine fut attaché au service de Synalmak sans que celui-ci ne soit consulté. L'innocent jeune homme découvrit alors une scène atroce. En pénétrant dans la cellule de fonction du Sovitelija, il découvrit un passage secret. Curieux, il le suivit et découvrit l'horreur. Synalmak avait fait ramener, de sa participation à la guerre du Chaos, des prisonnières qu'il avait enfermé là. Nues, elles portaient d'affreux stigmates. Des écrits que l'on a du témoignage du jeune moine, l'on ne saurait soumettre l’œil de l'informateur à ce qu'il décrivait : des traces de blessures en tout genre, une odeur de sang et de déjection, les victimes qui hurlaient à son approche en le méprenant pour Synalmak, des outils de torture et même trois moines de Golvandaar, deux moniales médicastres que l'on pensait en mission à Septentrion et un novice réputé perdu dans la montagne. Le jeune homme rapporta l'information immédiatement alors que le Sovitelija était de sortie. Le conseil des sages, d'abord sceptique devant l'énormité de la chose, fut amené dans la pièce et découvrit la vérité. Synalmak fut démis de ses fonctions sur le champ à l'unanimité du conseil sauf deux de ses partisans qu'il avait nommé, démis eux aussi en tentant de justifier les actes de leur maître. Berwald Nurmi, l'une des sages du Valtuusto, fut nommée à sa place en urgence. Elle mena l'arrestation de l'ancien Sovitelija qui tenta de résister avec ses proches partisans. Le fou fut mis aux fers avec davantage de sang sur les mains et fut interrogé. Le Valtuusto accorda temporairement l’usage de la torture afin de faire parler le félon. Synalmak offrit une résistance pendant quelques jours mais céda finalement après une semaine de torture. Il avoua alors quelles étaient les réalités en Huratelon et ce qu’il avait fait avec l’aide de ses partisans fanatiques.

Le Valtuusto délibéra après l'interrogatoire avec d'autant plus d'urgence qu'ils avaient été trahi par la plus haute fonction de leur foi. Les mémoires de la grande Nurmi font état de la détresse dans laquelle se trouvait les moines, mis à l'abri des récits réels de la guerre du Chaos, après avoir découvert la vérité. Le conseil décida de reporter l'affaire auprès de l'empereur et de convoquer le nouvel abbus d'Odense. Un mois plus tard, les deux dirigeants de la foi se réunissait devant l'empereur pour la seconde fois de l'histoire. Dame Nurmi présenta les faits, à l'immense déception de l'empereur ainsi que de Reybaud qui avait soutenu Golvandaar contre Preverien. Il fut convenu que, pour la hauteur de ses crimes, Synalmak serait exécuté au même titre que le phalangiste félon selon la justice impériale. L'empire mobiliserait également ses hommes pour exécuter les fauteurs de trouble haineux. Un édit impérial fut aussi proclamée: «Quiconque tuerait un homme au nom de sa foi serait pendu haut et court». De leur côté, Odense et Golvandaar jugèrent sur leur foi que les missions seraient désarmés et que quiconque tenterait de relancer les combats serait pourchassé par ses propres frères et sœurs croyants.


Chapitre V : Les suites du Chaos

Les années qui suivirent la fin du Chaos et l'exécution de Synalmak, depuis lors surnommé le Fou, ne furent guère une période de paix. Les irréductibles du Puhtaus de Synalmak et des loyalistes de Preverien continuaient de perturber la paix, mais en bien trop faible nombre pour justifier une quelconque nouvelle intervention impériale. Huratelon se retrouva ainsi dans l'une de ses périodes les plus noires et les seigneurs-gouverneurs d'alors étaient aux abois, la confiance offerte aux chevaliers et aux phalangistes étant brisée pour des décennies. Les décrets impériaux de la Grande Époque sur la bonne pratique de la justice furent tous bien rapidement abandonnés et rompre la paix en Huratelon était synonyme de mort pour quiconque avait le malheur d'être notoirement un fervent croyant. Malgré la relative popularité de Reybaud, Odense fut saignée à blanc par le seigneur Hura à chaque incident, causant une longue période de quasi-banqueroute pour les moines-guerriers. Cette période fut aussi marquée par un affaiblissement à Golvandaar du pouvoir du Monastère devant les revendications de la noblesse et du peuple qui s'étaient dés le début opposés à Synalmak en raison de sa pratique innommable du pouvoir. Si, sous la direction de la grande Nurmi et de ses successeurs immédiats, cette situation fut particulièrement rude et causa des tensions dans la cité du Monastère, elle devait néanmoins ouvrir la voie à l'harmonie des trois ordres que l'on connait de nos jours. La Grande Nurmi demeure ainsi très injustement impopulaire parmi ceux qui n'ont point étudié notre histoire et qui, comble du fantasme ignare, voient en elle une disciple de Synalmak le Fou.

Malgré les meilleurs efforts de la grande Nurmi et de Reybaud, les tensions entre phalangistes et monachistes demeurèrent plus fortes que jamais et leur survécurent. Les actes violents entre croyants des deux religions étaient courants dans toutes les villes où subsistaient à la fois une Abbaye et un Monastère. Cependant, une retenue générale demeurait tant la honte de Preverien et de Synalmak restaient forte pour ceux qui avaient connu cette époque. Cette retenue disparut lentement, trois décennies plus tard, alors que les jeunes qui n'avaient connu la guerre ne retenaient de celle-ci que la haine de l'autre. Les graines de la haine devaient renaître et elles le firent, au désespoir de tous ceux qui se souvenaient encore des horreurs du Chaos. Herluin Vervaand, un jeune abbus, organisa en 268 le soulèvement de Laggenau, une petite ville dans l'Est d'Huratelon. Haranguant les foules, il dénonça la faiblesse d'Odense et décida que la vengeance de Joris Preverien commençait ce jour-là. Par bonheur, la ville ne possédait pas de Monastère ou de population monachiste sans quoi, il ne fait aucun doute que cet homme n'eut ordonné leur exécution.

Très rapidement, la rumeur d'une nouvelle insurrection phalangiste se répandit et l'on vit, ça et là, des moines-guerriers déserter leurs postes. Tout aussi rapidement, la rumeur atteignit Golvandaar, causant un vent de panique. Le vieillissant Sovitelija Ulric le second était alors affaibli et les luttes concernant sa succession envenimèrent la réaction du Monastère. Doomagon, un homme favorable au réarmement des missions adaarionnes face aux phalangistes, harangua les foules en les invitant à relever une nouvelle fois la bannière du Puhtaus pour défendre la cause de la foi face aux félons. Le Monastère se trouva alors dans l'embarras et les concurrents pacifiques de Doomagon perdirent leur popularité auprès de la population et plusieurs commencèrent à accepter l'idée d'un nouvelle guerre. L'une d'entre eux, cependant, demeura fidèle à ses convictions et au message pacifique que portait depuis toujours la foi adaarionne. Avec la bénédiction de Ulric le second, la jeune moniale du nom de Sanna Orsund gagna en grand secret Odense pour y sonder les intentions du premier des abbus phalangistes. Ulric le second avait alors une grande confiance dans la modération de son homologue religieux et grand bien lui en fit. Gunnik Wyld était en effet un homme de paix mais cette même qualité dans ses relations avec Golvandaar s'était changée en défaut car il avait jusque là tenté de raisonner l'infidèle abbus de l'Est. L'homme ne put cependant maintenir sa position en sachant que Golvandaar menaçait de replonger dans de guerriers instincts par peur de voir les phalangistes frapper à nouveau les premiers. Avec l'aide de la jeune femme, Gunnik convainquit le conseil des phalangistes d'exclure Vervaand de la communauté des croyants phalangistes et mobilisa le décret impérial pour justifier qu'une campagne militaire soit organisé. Malgré des protestations, l'abbus Gunnik obtint ce qu'il voulut et la Phalange d'Odense se mit bien rapidement en branle pour marcher sur Laggenau.

Alors que Gunnik menait ses forces sur la ville rebelle, Sanna poursuivit sa mission diplomatique et gagna la Capitale pour y plaider le calme impérial. L'on sait bien peu de choses des discussions que la moniale put avoir avec l'Empereur mais sa mission fut un succès. L'Empire ne bougea pas davantage que Golvandaar tandis que Laggenau était assiégée et, en 269, Herluin Vervaand était exécuté à Odense par ses propres frères. Urili de Caroggia décrivit fort bien ce que la suite des événements aurait pu être sans l'intervention de Sanna, quoiqu'il spécula sans doute quant aux actions et idéaux réelles de la moniale. Il ne fait nul doute que sans évolution, d'autres phalangistes auraient levé la bannière de la haine face à Golvandaar, l'Empire ou même ses propres frères. Cependant, la même année, l'empereur d'alors proclama en grande pompe qu'un moine-guerrier d'Odense entrerait à sa cour pour le conseiller au même titre que le moine envoyé d'Odense. Une grande cérémonie fut organisée pour fêter cette grande ouverture dont Sanna Orsund fut l'architecte, ouvrant la voie à la traditionnelle Grande Entrée du Sovitelija et du premier des abbus d'Odense chaque année à la Capitale pour y conférer avec l'empereur, puis le roi de la Capitale.

Bien que l'ouverture impériale aux phalangistes calma ceux-ci, Golvandaar demeura prisonnière de la méfiance et deux ans plus tard, à la mort de Ulric le second, ce fut Doomagon qui lui succéda, laissant Sanna Orsund sans récompense de son courage et de sa valeur. Que le lecteur se rassure cependant car l'Arbitrio inspira sans doute l'histoire et que le Monastère se souvint de la belle émissaire. Par ailleurs, Doomagon ne donna jamais de suite à ses discours belliqueux de jeunesse, se contentant de fonder la garde bourgeoise de Golvandaar pour protéger la ville.


Chapitre VI : Le Concordat de Roskilde

L'insurrection de Laggenau et son issue à la cour impériale offrit une sérénité nouvelle au culte. Urili de Caroggia, dans son génie malheureusement souvent bien cynique, spécula que l'appel de Thermidor l'année suivante permit de calmer les personnalités belliqueuses autant à Golvandaar qu'à Odense, voire même d'isoler les moines-guerriers turbulents en les envoyant dans la Zaraga. La construction de l'observatoire de Golvandaar deux décennies plus tard offrit également à Golvandaar un grand renouveau, permettant à de nombreux citoyens, nobles, étrangers et moines de se découvrir de nouvelles passions plutôt que de ruminer leur méfiance des moines-guerriers jusqu'à dériver dans la haine qui a ravagé nos terres dans le passé, haine pourtant si éloignée de tout ce que la foi peut nous enseigner.

Le temps de la paix religieuse impériale s'estompa cependant bien vite alors que l'Empire se mettait à trembler sur ses fondements après la banqueroute qu'elle connaissait après des années de guerre dans le Nord qui avaient malgré tout débouchées sur la victoire de Khalkin sur les clans nordiques en 311. Le dernier empereur, maladivement déçu de ses frustrations septentrionales, se mit notoirement à accuser tout un chacun de la longueur de la guerre. Le seigneur d'Huratelon, les gouverneurs de Galdyr et de Medeva, le conseil des Marchands caroggians, voire même les infects pirates lig ocolidiens, furent tous mis au ban de la faveur impériale sans la moindre considération pour ses propres fautes. Ce déclin de la personne impériale ne pouvait que finir par se reporter aussi dans une haine de l'Arbitrio, et de ses ministres sur cette terre. C'est ce qui arriva et l'empereur renvoya ses conseillers religieux en 319. L'année suivante, Golvandaar se vit accusée d'avoir soutenu les Nordiques en raison de la ligne de la paix. Fantasme d'un homme blessé qui devait mettre fin à une si longue harmonie entre l'empereur et le Monastère adaarion. Les accusations s'amplifièrent malgré les explications du Grand Conseil de Golvandaar ainsi que les visites personnelles du Sovitelija, Rhudaur Loinvoyant, auprès de l'empereur. Ni le fait que les clans nordiques proches d'Adaar n'avaient jamais participé aux coalitions belliqueuses, ni la bravoure des moines dans les dispensaires de la Zaraga, ni les efforts des missions durant des décennies dans la province colonisée ne semblaient pouvoir apaiser sa suspicion. Tant et si bien qu'après insultes sur insultes, Golvandaar rompit son protectorat. Urili de Caroggia spécula que la décision était dangereuse et que seule la méfiance de l'empereur envers tous ses sujets l'avait empêché de raser la cité du Monastère. Odense n'était guère plus épargnée par les fantasmes impériaux. Recevant doléance sur doléance, l'Abbaye fut menée au bord de la banqueroute par chantage d'abolition du privilège hura d'organisation du culte, ce vieux vestige qui continuait de fonder l'existence même du phalangisme. L'obstination d'Odense à sauvegarder ce privilège peut paraître bien futile au lecteur d'aujourd'hui mais le respect de la loi impériale était alors encore à son paroxysme.

L'abandon de la couronne impériale qui surviendra en 332 causera une onde de choc dans tout le continent et la Foi ne fut guère épargnée. Golvandaar et Odense étaient en paix et leurs instances dirigeantes communiquaient désormais couramment. Cependant, la disparition de la garantie impériale de la paix religieuse terrorisait les sages des deux fois. L'indépendance d'Huratelon fut également un grand choc à Golvandaar où les plus alarmistes hurlaient à une réunion du Seigneur hura et d'Odense sous une seule bannière. De fait, le seigneur hura se rapprocha d'Odense durant cette période, sans doute pour garantir sa sûreté. Des rumeurs de pogrom religieux ayant eu lieu après le siège de la Capitale jetèrent alors de l'huile sur le feu de la méfiance collective. Cependant, le Chaos et l'insurrection de Laggenau se posèrent sans doute comme le rappel que la violence ne mènerait à rien. De fait, la guerre ne reprit pas.

En 347, le Sovitelija Aldaaor Urricsen et la première des abbus Ilesa Hendt marquèrent un pas l'un vers l'autre qui devait sceller pour toujours l'amitié entre phalangistes et monachistes. Ces deux saints dirigeants de nos fois se réunirent dans la ville de Roskilde, la ville-même où Synalmak avait fait commencer sa monstrueuse campagne. Ils y convoquèrent pour la première et unique fois l'ensemble des apottis, sages et abbus du continent. Devant cette magistrale assemblée, les deux personnages proclamèrent un discours condamnant radicalement toute la haine qu'avait vécu la Foi en l'Arbitrio et qu'il était temps pour la société des croyants de se réunir sous une seule bannière digne de toute la perfection de l'Arbitrio. Ils entreprirent ensuite la lecture du Concordat de Roskilde dont nous ne saurions paraphraser le texte.

«Sous l'œil et parfaitement impartial jugement de l'Arbitrio, nous, la société des croyants, proclamons solennellement que nous ne formons qu'une communauté unique et condamnons la guerre des frères et sœurs de foi comme l'ultime et plus malarbitré des actes que l'homme est en mesure de commettre. Ainsi, nous nous engageons en cette cité de Roskilde à nous soumettre à la bonne loi que nous proclamons ici: Premièrement, le Monastère de Golvandaar et l'Abbaye d'Odense se proclament désormais inébranlables alliés et amis dans l'unité de la Foi en l'Arbitrio et toute sa diversité. De ce fait, aucune assemblée des sages de nos deux institutions ne pourra se rassembler sans un très excellent représentant de son alliée et sœur. Deuxièmement, en dehors de la Capitale, de cette cité de Roskilde et de quelques autres cités que la société des sages réunis jugera digne de ce privilège, aucune cité ne pourra porter à la fois drapeau phalangiste et drapeau monachiste. Dés lors, tout croyant et tout moine pourra trouver refuge et respectueux accueil dans toute abbaye et tout monastère portant l'insigne de l'Arbitrio uni. Le même respect sera attendu de lui en retour. Troisièmement, Roskilde deviendra siège d'une institution nouvelle: un Tribunal d'Arbitrio. Il aura pour prime raison d'être la préservation de la Paix, de la dignité de l'âme, de la bonté de la société des croyants et de l'immaculé honneur d'Arbitrio. Ce Tribunal sera composée de deux instances. La Première sera nommée Tribunal des croyants et jugera de toute affaire de conflit entre croyants. Ses juges se répartiront en trois personnes: un ancien abbus, un ancien apotti et un éminent croyant. La Seconde sera nommée Tribunal de la Foi et jugera de toute affaire de doctrine de notre Foi alliée. Ses juges se répartiront en six personnes: deux hommes de Foi nommés par Odense et Golvandaar, un ancien abbus, un ancien apothi et deux très excellents croyants. Quatrièmement, chaque année en cette date du premier samedi de Thermidor de l'année, la société des sages se réunira en la cité de Roskilde pour y conférer de toute affaire de la Foi et fêter la Paix de la Société des croyants. Cinquièmement, la société des croyants se déclare libre des empires, des royaumes, des cités et de toute les autorités de l'homme, n'étant la chose de nul et la chose de tous, mais respectera les lois des peuples dans les limites des Interdits de la Foi.

Ce qui a été dit, nous jurons de le respecter à tout jamais sur nos âmes et nous soumettons au Grand Jugement de l'Arbitrio.»

Ce fut ainsi que la Paix s'instaura à jamais et qu'encore à ce jour, nous vivons dans la paix. Ce concordat ne fut jamais renié et chaque année, la société des sages se réunit à Roskilde pour y célébrer la grandeur de l'union des croyants en l'Arbitrio au pied de la Tour Pristine, le symbole de notre unité marqué des visages de ceux qui ont rendu cette union possible au travers de l'histoire avec, en son sommet, la statue de la Très-Proche d'Arbitrio Sanna Orsund, incarnation de la paix portant la fière bannière de notre unité. Cette conclusion se passe de grands commentaires tant ce Concordat nous offrit la véritable paix religieuse que même l'empereur ne put nous assurer. La preuve en est que nous signions cet ouvrage en tant que moniale monachiste et moine phalangiste et tous deux, enfants de parents de ces deux fois chères à nos cœurs.

La paix de l'Arbitrio soit sur nous. Que l'honneur et la charité nous guide vers l'harmonie. Gloire à l'éternel Arbitrio.

FIN