RolePlay :
Entrée 19 :
21/11/520
Je ne sais plus du tout où j’en suis.
Je n’aurais jamais cru me retrouver aussi perdu, confronté à un dilemme qui me ronge et dont aucune des issues ne saura pleinement m’apaiser.
Je pensais avoir tout vu sur Esperia, avec ce qui se fait sans cesse, avec ces longs mois à diriger la ville. Je n’aurais jamais imaginé que le pire ennemi que je devrais affronter, ce serait ma propre personne.
J’ai passé mon temps à juger ceux qui n’avaient guère de vertu, j’ai appelé un Praesco des Epervies pour venir en aide à Estrella que tout le monde accuse de batifoler avec diverses personnes - en plus de ne s'être toujours pas mariée. J’ai été sûr de moi, depuis ma première arrivée sur ces terres il y a un an et demi, depuis que j’ai croisé le regard d’Aamos, moi pauvre hère avec les chaînes aux mains.
Mon monde s’écroule pourtant, chaque jour un peu plus, et depuis hier soir j’ai honte de moi. Je n’ai pas osé lever les yeux vers le miroir, ce matin, je ne suis plus capable de me regarder en face.
Nous sommes revenus voilà trois mois environ, Aamos et moi. La vie à Lodaving était plutôt calme, peut être un peu trop - je commence à croire que nous ne sommes bon qu’à avoir ce que l’on ne possède pas, et dès qu’on l’a, on voudrait l’inverse - et ajoutant à cela les remords et les inquiétudes que je pouvais nourrir au sujet d’Esperia, j’ai voulu y revenir. C’est de mon initiative que nous avons pris la mer.
Avec plus de recul, je crois que je vois une nette différence entre le Aamos qui est au Monastère de Lodaving, calme, posé, qui peut débattre des heures avec moi ou lire et écrire avec son air concentré sur le bureau, et Aamos sur Esperia. La première fois que nous sommes partis, pour rentrer dans l’Ancien Monde, c’était parce qu’il déprimait, qu’il perdait sa joie de vivre jour après jour face aux Esperiens. Je le vois désormais, le même processus est à l'œuvre. Plus de prières malgré mes très, très nombreuses relances, son ton acerbe en parlant de tous les gens ou de tout ce qu’ils font, ce manque de recul et le fait qu’il ne soit pas capable de réaliser de façon concrète tout ce qu’il dit qu’il faudrait faire. Je sais que je lui casse du sucre sur le dos, et ce n’est pas bien de ma part, mais j’ai besoin de coucher ces idées sur papier pour pouvoir avancer dans mes réflexions et comprendre ce qui m’a rendu un si mauvais croyant. Il faut que je réussisse à identifier le mécanisme sous-jacent si je veux pouvoir le combattre. Fusse-t-il encore que je le veuilles.
On s’est donc retrouvé dans la même situation que lors des derniers mois de notre séjour Esperien, assez vite je dois dire. Je passe la journée à travailler, lui prie et fait ses affaires de son côté, et on ne prend vraiment le temps de parler l’un et l’autre qu’un soir ou deux par semaine, ce qui consiste en un résumé des affaires courantes et à s’étaler sur la stupidité des gens. Jusque là, il faut dire que je nous pensais - sur bien des points - supérieurs à la fange, avec notre vie vertueuse et nos valeurs. Désormais, je ne suis plus que l’un des leurs, l’un des trop nombreux pêcheurs que connaît cet endroit.
J’ai nommé Fable Roitelet, jeune homme de la trentaine, Intendant le 21 octobre 520. Cela fait aujourd’hui même un mois. Est-ce vraiment une coïncidence ?
Fable.. c’est une ombre platine, à la peau pâle, marquée d'une certaine grâce dans ses gestes agiles ou dans sa démarche souple. Lorsqu’il lève le menton, il a une condescendance toute particulière, comme s’il savait qu’il affichait sa fierté et que cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Son air ingénu, aussi, quand je lui raconte beaucoup de choses qu’il ne connaît pas encore sur la ville ou sur la confédération, a quelque chose de tendre. Son visage est fin, à la limite de l’anguleux, et ses deux yeux bruns reflètent une intelligence mêlée à une certaine arrogance, bien que ce mot soit un peu trop fort. Il se présente comme chaleureux, courtois, dans ses vêtements rouges qui tranchent avec sa peau. Fable possède cette capacité toute particulière d’incarner la vitalité dans ce qu’elle a de beau, de festif, de prometteur aussi.
Je peine à croire que cela ne fait qu’un mois. La temporalité ici est une chose folle, j’ai l’impression d’être déjà revenu depuis six fois plus de temps que ce qui est réellement écoulé.
En tous les cas, j’ai laissé prendre à cet homme beaucoup plus de place que je ne l’aurais imaginé dans ma vie. Je l’avais nommé sans parfaitement le connaître, il me fallait un intendant et j’avais décelé un fort potentiel chez lui. Rapidement, il a su me prouver que je ne m’étais pas trompé. Il est honnête, il est travailleur sans pour autant s’oublier à la tâche. Ses réactions un peu vives et son manque de diplomatie avec ceux qu’il n’apprécie pas sont les seuls points à travailler un peu, mais j’étais en train de le former pour prendre ma place, peu à peu, et je le trouvais en fort bonne voie.
J’ai recemment appris à le connaître en dehors de nos fonctions respectives - moi le Dirigeant, lui mon second - lors de plusieurs soirées où j’avais besoin de me distraire, le poids de cette cité étant souvent trop lourd pour mes épaules. N’ayant guère de quoi finir la soirée en souriant et en retrouvant de l’espoir à la maison, car je finis souvent nos discussions avec Aamos à avoir envie de quitter cette île - j’ai passé du temps avec lui, avec son ami (très.. brusque, un peu étrange) Ambroise, et d’autres encore. Avec leurs récits joyeux, leur enthousiasme m'était communicatifs, et j’ai repris goût à sortir, j’ai retrouvé le sourire en de nombreuses circonstances.
Nous avons parlé de tout et de rien, pour, comme bien souvent après quelques verres, terminer sur les sujets les plus intimes. Qui donc pouvait bien intéresser mon Intendant ? “Le bonheur ne se trouve que dans la famille”, quel idiot j’ai pu être en lui affirmant ça quand je passais mon temps à lui chercher quelqu’un en ville. Est-ce qu’il avait déjà envisagé qu’il puisse se passer quoi que ce soit entre nous à ces instants ? Peut-être. J’étais bien naïf.
Lors d’une de ces soirées, il y a tout juste une semaine, nous nous sommes retrouvés tous les trois avec un bon nombre de verres dans le nez. Ambroise a fini par vanter les mérites de Fable sur le domaine, disons, très privé, et Fable a raconté l’une de ses “techniques” pour séduire à cette occasion. Pour résumer, il a décrit, l’air sûr de lui, comme il tournait autour du pot en embrassant le cou de son partenaire voulu, pour le faire languir. C’est là que les choses ont commencé à basculer jusqu’au fiasco actuel. Avec l’alcool, et la façon dont il racontait - c’est un artiste des mots, lui aussi, il faut le dire - mon corps a fini par m’envoyer quelques… signes qui ne trompent pas. Passé la gêne, et au prix de beaucoup d’efforts pour que rien ne soit visible si je me levais, j’ai fini par leur fausser compagnie pour rentrer.
J’ai passé des heures à regarder le plafond, mon crâne me faisant de plus en plus souffrir. Comment était-ce possible ? Pourquoi mon corps m’avait-il fait défaut ainsi ? Était-ce vraiment signe de quelque chose de sous-jacent, finalement ? La nuit, non contente d’être censée apporter conseil, m’a noyé dans un brouillard où Fable finissait par me montrer cette fameuse technique, et où mes réactions n’étaient pas le moins du monde appropriées.
J’ai ressassé cela toute la semaine, commençant par être gêné de mes idées et de leurs envolées loin de rester chastes, puis remarquant peu à peu des signes qui m’avaient échappés jusqu’alors. Un changement de ton, des regards, un je ne sais quoi qui flottait désormais dans l’air quand nous conversions. Me faisais-je des idées ? Je l’ai cru jusqu’à hier soir.
Nous avons accueilli le Praesco Alfral Chesti, venu des îles pour traiter une affaire d’adultère d’Estrella sur son mari - l’univers a un drôle d’humour, tout de même - et je suis retourné à la taverne après l’avoir laissé aller se reposer. J’étais trempé, et il m’a proposé d’aller près du feu dans la grande cuisine pour me réchauffer, ce qui était tout à fait naturel. Je suis resté là-bas un moment pour converser avec Ermanno. Ce dernier a fini par partir, mais j’en étais déjà à mon quatrième verre. Je suis retourné vers le comptoir pour écouter quelques récits de Nandor, et, par mégarde, Ambroise a filé en me poussant sur Fable. Les joues m’ont cuite dès l’instant où mon torse et son épaule sont entrées en contact, sans que ça n’ait pourtant de sens. Après m’être excusé, j’ai terminé un nouveau verre. Les suivants se sont enchaînés, et arrivés à quatre hydromels, une bière et un verre de vin, il n’y avait plus grand monde dans la taverne.
Là où Aamos est une force tranquille, Fable pétille, vit et mord la vie avec une énergie incroyable.
Nous sommes retournés près du feu, et nous avons parlé, parlé.. pendant, je dirais, au moins cinq heures en tout. Assis face à face, en tailleur, nous avons évoqué plein de choses pour - comme toujours - finir sur des sujets… précis. Je lui ai demandé s’il possédait d’autres bottes secrètes, curieux comme tout, ce qui a été la première de mes erreurs. Nous avons donc parlé de cela, puis de certaines de mes idées, avant d’évoquer les choses que lui pouvait apprécier, tout en restant à peine dans l’évocation, jamais dans la vulgarité, cela va de soi.
Nous avons fini par arriver sur le sujet des personnes qu’ils pourraient apprécier, et cette fois, contrairement aux autres, il fut très précis. Ses mots semblaient peindre dans l’air un portrait bien précis, que je ne pouvais que reconnaître : le miens. Je me suis souvenu à cet instant que, l’un des soirs de discussion, il avait déjà dit que les seules personnes vraiment passionnantes étaient déjà mariées. Je n’avais absolument pas fait le rapprochement, pourtant je crois qu’il n’y a que Bellini, Aamos et moi même avec une bague au doigt sur Esperia en ce moment. Plutôt que la gêne que j’aurais dû ressentir, qui aurait été logique d’avoir, mon cœur s’est gonflé d’un très fort contentement. Quelle honte.
Nous avons continué sur ce genre de questions, et il s’est à nouveau plus que vanté de certains talents à “épuiser” autrui, je cite. Moi qui étais assis au sol et qui avait laissé mes jambes allongées sur le parquet, je me suis retrouvé forcé de rabattre les jambes contre mon torse pour masquer de nouveau des signes évocateurs qu’envoyaient une certaine partie de moi. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi mon corps s'évertue à nuire à ma vertue, alors que mon esprit est tout à fait capable de le faire seul. Je minaudais, j’en ai conscience, sous l’effet des très nombreuses boissons et de tout ce que je ne voulais pas m’avouer.
Nous avons fini par conclure qu’il était plus que l’heure de rentrer. Il m’a dit cette phrase, si évocatrice, juste avant que nous ne nous levions : “Si tu as quelque chose à dire ou une à poser, c’est le moment idéal”. Il savait ce qui se passait dans ma tête, à n’en point douter, à quelle lutte intérieure je m’évertuais d’échapper, et j’avais conscience de la porte qu’il tentait d’ouvrir.
Je me suis relevé avec une des nombreuses phrases bateaux que je sais si bien sortir, et nous sommes allées jusqu’à la porte pour aviser la pluie qui tombait en cordes drues sur le sol de la place. Il a voulu faire mine de ne pas avoir les clefs de la taverne, mais après avoir ouvert, ce qui était aussi drôle qu'adorable. Peut-être qu’il regrette encore de ne pas avoir fait semblant plus tôt, d’ailleurs. Nous avons vaguement évoqué l’idée qu’il faille prendre un bain après être passés sous ce déluge, et il m’a bien signalé avoir un baquet. Mon esprit déjà en ébullition a fait ressurgir la chaleur dans mes joues, et à tout autre endroit concerné. J’ai bien entendu répondu que ce n’était pas une bonne idée, qu’il était déjà trop tard. Si un bain tiède aurait calmé mes ardeurs, la vue du moindre centimètre de sa peau allait les raviver sans mal. Il a fermé la porte, et nous avons filé à la maison de charité.
Fable occupant, dans ce bâtiment, la chambre juste à côté de celle que je partage avec Aamos, je me suis arrêté dans le couloir pour que nous nous disions bonne nuit… Je ne cacherai pas que la tension était plus palpable que jamais, avec ces heures passées ensemble, et l’étroitesse du couloir. J’étais collé au mur, entre les deux chambres qui symbolisaient à merveille le problème qui était le mien à cette heure. Les signes sont trop présents dans cette histoire pour que je puisse croire qu’il n’y a pas là une part du destin.
Nous avons repris, finalement, quelques discussions, jusqu’à ce que je lui dise au détour d’un sujet qu’il serait certainement capable d’avoir tout ce qu’il désirait. Il m’a alors demandé ce que je pensais, moi, que lui même pouvait désirer. La question était simple, mais je n’aurais jamais osé évoquer l’idée à voix haute. Je lui ai répondu être trop bon à ce genre de devinettes, et il m’a dit qu’il le savait. J’avais deviné sans mal ce qui faisait l’objet de ses désirs, et il était bien conscient que j’étais au fait de la chose.
C’est là que le mal a été fait, la descente emmenant loin des qualités qu’il faut avoir devenant une pente aussi raide que je pouvais l’être. Fable m’a annoncé que, si je lui demandais, il pouvait repartir vers sa chambre et faire mine de rien. Il a dit que rien ne changerait, ni son estime pour moi, ni tout le reste. Il a ajouté que si je ne disais rien, il me montrerait de quoi il avait réellement envie. Arbitrio que j’ai été faible, à me taire, à ne pas avoir la force de lui dire d’aller se coucher. Au lieu de ça, je suis resté collé sur ce mur, le souffle court et le cœur battant, à le regarder avant autant de désespoir que d’impatience. Comment pouvais-je à ce point vouloir lui céder ? Est-on, nous, simples humains, censés pouvoir trouver la force de résister à ces pulsions ?
Il est venu à moi, tendre, les yeux emplis d’une douceur et d’une affection que je ne lui avais jamais vu, et s’est trouvé bien avisé d’utiliser sur moi son approche décrite la semaine passée. Couvrant mon cou de légers baisers, puis de quelques accrochages me laissant une trace rouge d’un bon centimètre, il a fini par remonter jusqu’à ma joue. Je savais qu’il me faisait languir, mais je ne tenais plus, après ces six heures à m’accrocher à l’espoir que je serais plus fort que mes pulsions, je me vautrais dans cette décadence offerte de la plus douce des manières. Nous nous sommes finalement embrassés, là, à l’étage de la maison de charité, siège de la foi de la ville que je dirige, entre la chambre gracieusement prêtée par l’Ennen à mon Intendant, et celle où dormait Aamos. Le fait d’écrire ces mots me permet de me rendre compte de l’abjection que cela représente.
Je lui volait un autre baiser, bref, juste après ce premier moment intense, avant de lâcher quelque phrase banale lui souhaitant une bonne nuit et de m’enfuir lâchement vers la chambre où j’allais passer moi même les trois heures qui me restaient à dormir, allongé, tremblant et transit, plein de pulsions bestiales. J'ai senti pendant toute la nuit la pression de sa main, paume ouverte, contre mon torse, et le goût de ses lèvres.
Je n’arrive pas à savoir si j’ai des regrets. C’est certainement pire encore que tout le reste. J’ai bien conscience que, si cela devait être effacé, je risquerais dans tous les cas de recommencer. Comment puis-je me permettre d’avoir ce genre de pensées ? Je ne suis plus légitime de rien, je ne mérite plus aucune confiance de tous ces gens… Que vais-je faire, désormais ?
Peut être qu’il aurait mieux valu que je prenne cette flèche dans le cou. Puisse Arbitrio avoir pitié.
A la prochaine entrée, il faudra que je raconte la bataille contre le Horde, avant que mes souvenirs ne deviennent flous.