Les Fables de Loghéans
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Cet écrit a été rédigé par Yvain de Loghéans et se trouve sur l'Ancien Monde.
Les Fables de Loghéans
Sommaire
Le loup et l'agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
“Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?”
Dit cet animal plein de rage :
“Tu seras châtié de ta témérité.”
“Sire”, répond l'Agneau, “que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.”
“Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.”
“Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?”
Reprit l'Agneau ; “je tette encore ma mère”
“Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.”
“Je n'en ai point.” “C'est donc quelqu'un des tiens:
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.”
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Rat des villes, rat des champs
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
À des reliefs d'ortolans.
Sur un tapis assentani
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
À la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
“Achevons tout notre rôt.”
“C'est assez”, dit le rustique ;
“Demain vous viendrez chez moi :
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.”
Le Cerf et la Vigne
Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert, et sauvé du trépas,
Les veneurs pour ce coup croyaient leurs chiens en faute.
Ils les rappellent donc. Le cerf hors de danger
Broute sa bienfaitrice ; ingratitude extrême ;
On l'entend, on retourne, on le fait déloger,
Il vient mourir en ce lieu même.
“J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats.” Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée. Il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.
Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.
Le Chat et le Renard
Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,
S'en allaient en pèlerinage.
C'étaient deux vrais tartuffes, deux archipatelins,
Deux francs patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin était long, et partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent.
La dispute est d'un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos Pèlerins s'égosillèrent.
Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :
“Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J'ai cent ruses au sac.”
“Non, dit l'autre : je n'ai qu'un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu'il en vaut mille.”
Eux de recommencer la dispute à l'envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.
Le Chat dit au Renard : “Fouille en ton sac, ami :
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.”
A ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de brifaut.
Partout il tenta des asiles ;
Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d'un Terrier, deux Chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.
Le trop d'expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.
Le Chat et les Moineaux
Un Chat, contemporain d'un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l'âge du berceau.
La cage et le panier avaient mêmes pénates.
Le chat était souvent agacé par l'oiseau :
L'un s'escrimait du bec, l'autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu'à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule.
Le passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu'on s'abandonne
Aux traits d'un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S'en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
“Cet inconnu”, dit-il, “nous la vient donner belle
D'insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?”
“Non, de par tous les Chats !” Entrant lors au combat,
Il croque l'étranger. “Vraiment”, dit maître Chat,
“Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.”
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.
La chatte changée en femme
Un homme chérissait éperdument sa chatte,
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d'un ton fort doux :
Il était plus fou que les fous.
Cet homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu'il obtient du Destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il était d'amitié.
Jamais la dame la plus belle
Ne charma tant son favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de Mari.
Il l'amadoue, elle le flatte ;
Il n'y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l'erreur jusqu'au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt la Femme est sur pieds.
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, Femme d'être en posture
Pour cette fois, elle accourut à point ;
Car ayant changé de figure,
Les Souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli.
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu'on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d'étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en serez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.
La Chauve-Souris et les Belettes
Une Chauve-Souris donna tête baissée
Dans un nid de belette ; et sitôt qu'elle y fut,
L'autre envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.
“Quoi ! vous osez”, dit-elle, “à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire !
N'êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction.
Oui vous l'êtes, ou bien je ne suis pas belette.”
“Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'est pas ma profession.
Moi souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles :
Grâce à l'Auteur de l'univers,
Je suis oiseau : voyez mes ailes ;
Vive la gent qui fend les airs !”
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer
Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La dame du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage :
“Moi pour telle passer ! vous n'y regardez pas :
Qui fait l'oiseau ? C'est le plumage.
Je suis souris : vivent les rats ;
Arbitrio confonde les chats.”
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.
Plusieurs se sont trouvés, qui d'écharpe changeants,
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens :
“Vive le Roi ! Vive la brigue !”