Mémoires d'Outre-Ponant 523-524 : Différence entre versions
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+ | =Mémoire d’Outre Ponant par Kaarlo Laïne en Esperia.= | ||
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+ | C’est ce 15 octobre de l’année 523 que je mis le pied sur l’île d’Esperia, encore jeune homme, plein d’idéaux, d’interrogations et d’un certain détachement pour ce qui m’attendait. Aujourd’hui, en consignant ces lignes, je réalise combien cette île, où je fus spectateur et acteur d’événements d’une intensité rare, m’a transformé. Esperia ne laisse personne intact. On y entre une âme, on en ressort une autre.<br> | ||
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+ | Je n’ai ni la prétention de l’exhaustivité, ni celle d’un récit académique respectueux des normes. Cet écrit n’est pas destiné à franchir les portes des grandes bibliothèques ou à résonner dans les amphithéâtres de mon ancienne université de l’Oppikaupunki. Il est mien, personnel, et se fera le miroir de deux regards : celui de l’historien qui s’attache aux faits, froidement, et celui de l’homme qui vécut, sentit et s’engagea malgré lui.<br> | ||
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+ | Ainsi, je me livre ici à une tentative d’équilibre périlleux, où s'entrelacent objectivité et subjectivité. Je ne chercherai pas à occulter mes propres actions – modestes et discrètes qu’elles furent. Si mon rôle, pour l’essentiel, s’est tenu dans l’ombre, ce livre en livrera néanmoins quelques échos. Je ne suis, après tout, qu’un simple érudit adaarion originaire d’Edella, formé à l’étude des cartes et des paysages. Mais en Esperia, les chemins s’entrelacent, et même les géographes les plus rêveurs finissent par marcher au bord des précipices de la politique. | ||
+ | J’’ai quitté l’île, différent, mûri, porteur d’histoires et que je m’efforcerai de restituer. | ||
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+ | ==Chapitre 1 : Les premiers jours,la captivité et la libération.== | ||
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+ | À peine arrivé en Esperia, je fus acheté comme esclave par Onak, pravadyr de la tribu Soroja, devant l’indifférence des autres arbitrés de la ville. Cet homme, alors vaahva dans toute sa force et son autorité, m’aura pourtant offert une expérience inattendue : celle de me confronter à un monde radicalement étranger au mien.<br> | ||
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+ | Issu d’une nation marqué par le monachisme et une certaine rigueur doctrinale, je découvrais le culte des Sept, leurs rites et leurs perspectives. Ce fut pour moi une ouverture salutaire. Je ne portais ni haine ni hostilité à cette foi avant d’arriver, mais en la côtoyant de près, j’en ai appris davantage que bien des hommes libres ne le pourraient. Cette compréhension me fut précieuse pour les relations que je tissai par la suite. | ||
+ | Très vite, je fus témoin des premières intrigues, des premières trahisons, et des premières pertes. Je me souviens encore de ces deux noms – Romaric et Karmen – qui, bien qu’inconnus pour moi alors, laissèrent derrière eux un vide palpable dans le cœur des habitants. Leur mort marqua un tournant dans le destin de l’île. J’assista au procès des assassins, des factionnaires du bourbier qui tenteront d’arracher la vie au Chancelier Rosso, bras droit de Nicolas, Celui-ci ne perdit qu'un œil - Il porta dès lors son cache-misère avec une certaine fierté, comme un trophée de guerre, tout en continuant de noyer son unique œil valide dans les flots d'alcool qui constituaient son élément naturel. Par la suite, je fus présent aux funérailles de Romaric et Karmen, ceux qui à mon arrivée gouvernaient encore la cité. Au milieu du chapiteau dressé à côté du navrat se tenait un homme que je m’apprête à décrire : Nicolas Veretti, qui allait bientôt se muer en régent d’Esperia.<br> | ||
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+ | De lui, il serait juste de dire qu’il fût là, simplement là, telle une ombre posée sur le rivage du moment, sans éclat ni empreinte, témoin muet d’une scène qui n’attendait rien de lui. Élu régent, il traversa les premiers mois de son mandat sans écrire la moindre loi, préférant jeter aux ordures l’ancien codex plutôt que d’y apporter des amendements.<br> | ||
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+ | Malgré cette inertie apparente, Veretti nomma Rumi, une vaahva de la tribu Soroja, à l’intendance du Bourbier. Libéré de ma condition servile, je deviens son adjoint. Rumi, femme d’un caractère ambivalent, portait un regard critique sur les usages arbitrés, notamment la monnaie, tout en s’y adaptant avec une habileté surprenante. Elle trouva sa place dans un système qu’elle semblait pourtant rejeter. | ||
+ | Autre fait étonnant fut mon amitié naissante avec Azadeh de Chantefeu une qadjaride qui comme son nom pourrait le laisser deviner ne manquait pas de vitalité. | ||
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+ | ==Chapitre 2 : La fin de Nicolas Veretti & le problème vaahva== | ||
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+ | Le bourg d’Esperia fut plongé dans un étrange silence ce soir du 25 février 524. Une pluie fine et persistante s’abattait sur la ville, mais cela n’empêcha pas la population entière de se masser devant l’hôtel de ville. On venait assister à la déposition de Nicolas Veretti, le régent sans éclat, dont le pouvoir s’éteignait comme s’il n’avait jamais véritablement brûlé.<br> | ||
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+ | Il est à noter que cette transition se fait sans effusion de sang. Un fait rare, que je ne peux attribuer qu’à l’intelligence politique de mon frère, Tiitus. Celui-ci, par une habileté remarquable, sut se hisser en position d’arbitre et de juge, s’imposant comme une figure de consensus. Onak, ce chef vaahva d’une clairvoyance brute, perçut en Tiitus ce que ce dernier voulait qu’il perçoive : un homme sage, apte à gouverner. Je mentirais si je prétendais que ce jugement était erroné. | ||
+ | Ainsi s’acheva le gouvernement de Nicolas Veretti, laissant derrière lui une leçon essentielle pour quiconque prétendrait prendre les rênes d’Esperia : un gouvernement sans garde est un gouvernement sans bras. La force armée, en ce lieu où passions et luttes se mêlent, n’est pas un luxe, mais une nécessité.<br> | ||
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+ | Une seconde leçon, tout aussi cruciale, émergea des cendres de ce régime : l’art de gouverner en Esperia réside dans l’intégration des groupes divers qui composent cette communauté diverse. Un prince avisé doit savoir agréger en son sein des factions opposées, non seulement pour répartir les tâches et étendre son influence, mais aussi pour laisser ces groupes se disputer entre eux les faveurs du pouvoir. Il lui incombe alors de veiller à ce que ces factions ne trouvent jamais de cause commune contre lui. | ||
+ | C’est ici qu’intervient le problème vaahva.<br> | ||
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+ | Contrairement aux arbitrés, les vaahvas portent en eux une culture profondément ancrée de la violence et de son usage. Ce n’est pas un vice, mais une réponse naturelle aux conditions de vie hostiles dans lesquelles ces peuplades ont évolué. La plupart d’entre eux savent se battre, et leur maîtrise des armes les rend à la fois précieux et dangereux. Pour un prince d’Esperia, les vaahvas représentent une menace latente, surtout si le conflit éclate entre eux et le pouvoir central.<br> | ||
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+ | Cependant, il serait mal avisé de tenter de les intégrer de force dans le système politique urbain. Les vaahvas ne revendiquent pas le pouvoir des villes, et chercher à les y placer risquerait de mécontenter les arbitrés, bien plus adaptés à la gestion des affaires civiques. Un prince avisé doit donc trouver un équilibre : écouter les vaahvas, leur laisser vaquer à leurs occupations en dehors des murs de la ville, tout en s’assurant de maintenir la paix.<br> | ||
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+ | Pour garantir cet équilibre, une mesure prudente s’impose : inclure un vaahva au sein de la garde, au rang de sergent, par exemple. Cette présence servirait de contrepoids, dissuadant tout débordement de la garde contre les vaahvas et permettant de préserver une coexistence fragile mais nécessaire. | ||
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+ | ==Chapitre 3 : Portrait croisé des principaux acteurs du chapitre== | ||
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+ | À ce tournant crucial de l’histoire d’Esperia, quelques figures se détachent du tumulte général, chacune incarnant une facette particulière de l’équilibre précaire qui régissait l’île. Ces individus, par leurs actions et leurs ambitions, jouèrent un rôle déterminant dans le cours des événements. <br> | ||
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+ | Je commencerai par celui que je considère comme l’architecte de la paix : l’ennen Tiitus. Il était un homme d’une intelligence rare, mais qui se distinguait davantage par sa sagesse pratique que par l’éclat d’un orateur. Peu enclin aux grands discours ou aux positions tranchées, il savait offrir à chaque interlocuteur l’illusion qu’il n’était pas son ennemi. Cette capacité à incarner une neutralité rassurante fit de lui un acteur clé de la stabilisation politique. Ce style de gouvernance, modeste et pragmatique, pourrait inspirer tout prince d’Esperia. Tiitus avait compris qu’il n’était pas nécessaire de personnifier l’État ; au contraire, il laissait cette fonction à d’autres, se contentant d’agir efficacement en coulisses. Son objectif était clair : prospérer, et pour prospérer, il fallait d’abord stabiliser une société en proie aux divisions. Pour atteindre ce but, Tiitus s’appuyait sur sa capacité à parler à tous, à comprendre les désirs et les ambitions de chacun. Il avait saisi une vérité fondamentale : pour anticiper les actes d’un homme, il faut d’abord en connaître les objectifs. En cela, il incarnait l’administrateur parfait, un homme de compromis et de paix, dont l’influence s’exerçait dans l’ombre, loin du soleil.<br> | ||
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+ | Mais il ne portait pas seul le poids de la gouvernance. À ses côtés se tenait Ivanka, la pro-abbus qui dirigea le chapitre en collaboration avec l’ennen. Leur entente, si fluide et si harmonieuse, donna l’impression d’une véritable union des esprits, si bien que certains murmuraient qu’un mariage aurait été la suite logique de cette association. Ensemble, ils offraient à l’État une direction ferme et efficace, une stabilité dont Esperia avait cruellement besoin après le désastre du régime de Veretti.<br> | ||
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+ | Cependant, un autre homme nourrissait des ambitions différentes et convoitait également Ivanka : Siffleur, l’Ocolidien. Cet homme singulier, prêt à renier sa propre foi pour embrasser le Phalangisme et ainsi se rapprocher d’un éventuel mariage avec Ivanka, incarnait une approche beaucoup plus audacieuse – et maladroite – de la politique. Siffleur poursuivait un objectif ambitieux et controversé : intégrer de force les communautés vaahvas et qadjarides au sein de la ville elle-même. Mais son projet échoua lamentablement, pour des raisons qui, rétrospectivement, paraissent évidentes. D’abord, le gouvernement, dirigé par Tiitus et Ivanka, ne soutenait pas son initiative. Ensuite, les communautés concernées – vaahvas et qadjarides – ne partageaient pas son désir d’intégration forcée. Enfin, et peut-être surtout, la seule entité armée indépendante de l’île, la Ronce Rouge, s’opposait fermement à ce projet.<br> | ||
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+ | La ronce Rouge était une organisation de mercenaires qui n’avait de mercenaires que le nom. Une compagnie de gens en armure suivant des contrats à la lettre sans jamais les trahir en sous-entendant bien sûr qu’ils n’avaient jamais eu de meilleure offre pour changer de camp. Je dois avouer que la méfiance était de mise mais je me suis ensuite rendu compte qu’ils avaient tout pour être une garde sans l’être officiellement et à contrat à durée déterminée.<br> | ||
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+ | Elle surgit dans l'histoire d'Esperia comme une lame tirée au crépuscule - Kyria, l'espionne de Veretti avant sa trahison, devenue capitaine, puis régente. Son ascension traçait dans les airs la courbe parfaite d'un destin politique, mais qui pouvait donc prétendre connaître l'âme cachée sous cette façade ? Elle qui offrait au monde le visage d'une guerrière impénétrable : ce regard d'acier, cette voix qui claquait comme un étendard. Une façade de force, oui, mais combien fragile à qui savait observer. J'ai vu les fissures dans ce marbre - ces nuits où ses doigts tremblaient en tournant les pages du Compendium. Étrange alchimie que cette femme ! Cynique dans l'expression, mais prompt au pardon ; têtue comme une mule, mais d'une curiosité insatiable qui faisait écho à la mienne. Elle croyait, contre toute évidence, en la perfectibilité des âmes - folle générosité qui expliquait sans doute cette "famille Azari", ce regroupement improbable de cultes et d'origines qu'elle avait rassemblé. Était-ce sagesse ou désespoir ? Ou simplement cette angoisse existentielle que je devinais dans son regard… La garde qu'elle refonda fut son chef-d'œuvre apparent. Mais sa véritable création fut ce foyer bigarré où chacun trouvait place. Peut-être cherchait-elle ainsi à recomposer par procuration l'harmonie qui lui manquait. Peut-être n'était-ce qu'une autre forme de combat - contre la solitude, contre les fantômes du passé. Kyria portait ses contradictions comme d'autres arborent des décorations avec une fierté douloureuse. Et c'est sans doute cette vulnérabilité secrète qui fit d'elle, malgré tout un temps, la meilleure d'entre nous. | ||
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+ | ==Chapitre 4 : Les jours agités du Chapitre== | ||
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+ | ===Kyria Azari, ou l’ombre portée de la loi=== | ||
+ | C’est sous les auspices d’un ciel incertain que Kyria Azari ceignit l’épée de capitaine, élevant par la seule force de sa volonté les ruines d’une garde oubliée. Femme de fer aux yeux bleues de glace, elle incarna bientôt l’ordre d’Esperia, ou du moins ce qu’il en restait. Je l’observai, moi, spectateur silencieux, tandis qu’elle tissait autour d’elle le filet d’une autorité sans partage. La garde, cette enfant moribonde de la cité, reprenait vie sous ses doigts, mais à quel prix ? Les murmures disaient qu’elle la portait à elle seule l’institution comme une mère berçant un fils condamné.<br> | ||
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+ | ===L’affaire Sixte, ou le poison des mots=== | ||
+ | Parmi les ombres qui hantèrent ces jours fiévreux, une silhouette courbée se détache : celle de Sixte, le hura phalangiste, médecin aux mains savantes et à l’âme rongée. L’opium, ce serpent visqueux, l’avait enlacé jusqu’à le plier en deux, le réduisant à l’état de spectre claudiquant, appuyé sur une canne comme sur une béquille de honte. Mais son véritable venin ne coulait pas dans une fiole – il distillait sa haine en paroles acérées, maudissant les vaahvas avec la ferveur d’un fanatique. | ||
+ | Un soir, alors que j’avais convié les esprits érudits de l’île à un colloque sous les voûtes de l’Académie, Sixte osa exhiber son venin. Il présenta un ouvrage, certes savant, mais souillé de mépris. Les vaahvas, ces fils du fer et des sept mers, ne purent souffrir l’affront. Leurs lames brillèrent dans la pénombre, et l’érudition céda devant la colère. | ||
+ | Le Chapitre, ce tribunal des âmes, le jugea le quinze avril de l’an cinq cent vingt-quatre. Coupable d’outrage, coupable d’avoir attisé les haines, mais innocent de blasphème – comme si Arbitrio, lui-même, détournait les yeux. Sa sentence fut net : ''« Remis en esclavage, endetté de trois cents pièces envers ceux qu’il avait vilipendés, et condamné au sevrage, pour que son corps souffrît autant que son orgueil. »''<br> | ||
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+ | ===La fracture des tribus=== | ||
+ | Cette affaire, en apparence locale, fut un coup de hache dans le tronc déjà fissuré des alliances tribales. Vaahvas et Qadjarides, jusqu’alors unis dans leur exil extra-muros, se déchirèrent. Les premiers exigeaient vengeance ; les seconds, par quelque ironie du sort, offrirent asile à Sixte, comme pour narguer leurs frères ennemis. Ainsi se brisa l’équilibre précaire que Tiitus avait patiemment ourdi. | ||
+ | En effet, le clan Cirkla, séduit par les promesses de Siffleur, finit par franchir les murs de la cité, rompant ainsi l'alliance qui les liaient aux vaahvas. Ce reniement me fut cruellement rappelé lors d'une soirée au manoir du haut-jardin. Ce que je découvris dans le salon me souleva le cœur : deux silhouettes grotesques - le vice appuyé sur sa canne comme sur une béquille de morale, et l'apostat, sirotant son thé de honte. Sixte et Siffleur. Ils me demandèrent mon avis, évoquant avec une familiarité déplacée mes liens avec Anja. Leur proposition était claire : rejoindre leur projet de conversion. Une tentation fugace traversa mon esprit mais la raison l'emporta. | ||
+ | Ironie du destin, Siffleur, cet homme cultivé jusqu'à l'affectation, légua à l'Académie une partie de sa fortune en échange d'un portrait. J'acceptai ce marché, sachant pertinemment que l'œuvre ne survivrait pas aux prochains travaux. Cette ambivalence calculée relevait sans doute de l'hypocrisie - je m'en accuse aujourd'hui. Mais l'Académie, ce sanctuaire du savoir qui nous rassemblait tous, valait bien ce compromis. Pouvais-je, en ces temps de fractures, afficher ouvertement mes préférences ? L'Histoire m'a répondu cruellement, me forçant bientôt à choisir un camp. Reste cette question : jusqu'où peut-on feindre la neutralité avant de devenir complice ? Ma réponse est la suivante : Un ambassadeur est comme le roseau ,il plie mais ne rompt point. J'ai courbé l'échine assez longtemps pour que l'Académie tienne debout. Mais il vient toujours un moment où le roseau doit soit se briser, soit devenir une arme. La neutralité n'est point lâcheté, mais prudence du sage. Tant que les murs de l'Académie tiennent debout, tant que ses pupilles s'emplissent de lumière plutôt que de sang, mon âme peut supporter ce poids d'apparente duplicité. Le savoir survit aux régimes me disais-je… Mais le compromis n’est acceptable qu’à un certain point. | ||
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+ | ===L’ascension discrète du Prae Zeri=== | ||
+ | Et tandis que ces tempêtes grondaient, une ombre plus discrète glissait entre les murs du pouvoir : le Prae Zeri, nommé commis du Chapitre. Poste modeste, presque risible, mais premier pas d’une marche silencieuse vers les hauteurs. L’histoire, souvent, se joue dans ces interludes négligés. Plus tard, il sera celui qui dirigera la foi non sans avoir exécuté Sixte mettant sans doute un terme à sa souffrance en répandant le sang hura. Zeri aura sans doute glissé dedans. | ||
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+ | ==Chapitre 5 : Mes expériences sur Esperia== | ||
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+ | Mes pérégrinations furent moins nombreuses que ne l'eussent souhaité ma curiosité et mon devoir. Deux fois seulement je foulai le sol d'Alcédine, mais cette fréquentation assidue du sénateur Oiva me permit de prolonger nos échanges par lettre interposée et de consigner l'histoire dans un traité qui, je l'espère, survivra aux caprices du temps. | ||
+ | Le premier de ces voyages mérite pourtant qu'on s'y attarde, ne fût-ce que pour la leçon qu'il m'enseigna. La mer, cette éternelle traîtresse, nous dépêcha d'abord ses furies sous forme de tempête, puis, quand nos nerfs étaient déjà à vif, ses écumeurs vinrent ajouter l'horreur humaine aux terreurs élémentaires. Ce fut là que je vis pour la première fois la vie s'éteindre sous ma lame - expérience qui imprima en moi, plus que tous les traités, la nécessité absolue de routes maritimes sûres. J'en formalisai d'ailleurs les principes dans ma "Doctrine navale", où le sang versé ce jour-là se mua en encre préventive. <br> | ||
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+ | Mais laissez-moi quitter ces considérations stratégiques pour évoquer ce qui fit véritablement la richesse de mon séjour : mes élèves. Chacun d'eux fut un livre ouvert où je pus lire, bien mieux que dans les parchemins, l'âme complexe d'Esperia. | ||
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+ | Azadeh : Une qadjaride venue me voir pour devenir ouvrière-mineuse. Diplômé de géographie j’avais les moyens de lui en apprendre plus qu’il ne le fallait et je dois dire qu’elle fut d’une incroyable perspicacité et d’une soif d’apprendre exceptionnel. | ||
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+ | Da : Une petite à qui j’ai appris les bases de la lecture et de l'écriture. Elle fut bonne élève et sans doute que si nous avions continué les cours elle serait devenue la plus érudite des Eyjarskas. | ||
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+ | Héraïs : Une charmante demoiselle rousse qui voulut elle aussi devenir ouvrière. J’ai apprécié lui dispenser le savoir nécessaire au vu de son tempérament calme qui aidait. | ||
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+ | Elias : Membre de la ronce rouge et fort combattant que je n’aurais osé défier qu’en dernier recours. Il appris à manier les mots aussi bien que son épée. | ||
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+ | Anja : Charmante jeune rousse vaahva qui aurait tout eu pour faire une parfaite adaarionne si elle n’avait pas été du culte des septs. Elle apprit la médecine à mes côtés et ceux de Sixte même si celui-ci la faisait plus souffrir moralement qu’autre chose en tentant de la convertir. | ||
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+ | Kyria : Une forte tête qui visiblement devenait un peu plus calme quand on parlait de choses d’apothicaire. | ||
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+ | Zeri : Un élève calme et posé, en mettant mes animosité de côté pour lui apprendre la botanique de la ferme j’aurais pu entrevoir un peu d’humanité en lui. | ||
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+ | Tiitus : Mon cher frère qui en plus de manier la pâte sait désormais manier le burin. | ||
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+ | Sasha : Triste enfant qui n’aura pas eu le plus de chance en ce bas monde. Malgré tous ses malheurs j’ai pu je l’espère lui apporter de quoi être armé intellectuellement face au monde. | ||
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+ | Découverte : Il en faudrait un carnet à part pour détailler le procédé mais j’ai découvert une plante étrange dont les fruits semblaient avoir des propriétés pour diminuer la fatigue. Je me suis tourné alors vers mon frère Tiitus avec lequel nous aurions mis au point un procédé à base de torréfaction pour le manger… ou le boire. | ||
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+ | ==Chapitre 6 : La chute des Azari== | ||
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+ | ===Le crépuscule doré d’une dynastie=== | ||
+ | Tout semblait sourire aux Azari. Kyria, jadis capitaine au regard d’acier, ceignait désormais le manteau de régente, et les festins se succédaient dans un tourbillon d’insouciance. Mais hélas ! Les cours les plus fastueuses ne sont souvent que des balcons sur l’abîme. La garde, privée de sa main de fer, sombra peu à peu dans une léthargie funeste, et l’on eût dit qu’Esperia retenait son souffle, attendant l’inévitable chute. Fin août 524, on me confia les rênes de l'ambassade - ironie du sort, alors que l'édifice Azari commençait à vaciller. Quel renversement pourtant ! En l'espace de quelques semaines fiévreuses, j'accomplis plus que durant toute l'année de stagnation précédente. Ma priorité se trouvait entre Esperia, Alcédine Solres et Polperro, tandis que Rivelle se profilait à l'horizon comme un partenaire potentiel. Mais la causalité roulait dans l'ombre : la veille même où devait partir la missive pour Rivelle, le malheur frappa. | ||
+ | ===Mercure, ou le premier sang versé=== | ||
+ | La descente aux enfers commença par une mort – celle de Mercure, l’amant caroggian d’Anja, phalangiste au verbe ardent et au destin brisé. Les Azari formaient alors une mosaïque bigarrée, un fragile équilibre de sang et de croyances : Kyria, l’iconodoule inflexible ; Zeri, son époux prae, austère et calculateur ; Anja, la vaahva des Sept, sauvage et passionnée ; et tant d’autres, tous liés par quelque pacte invisible, toutes les fois de l’île réunies sous un même toit. | ||
+ | Mais la disparition de Mercure, survenue à la fin d’août, déchira ce voile d’harmonie. Pour Anja, ce fut une blessure inguérissable, une douleur muette qui creusa en elle un vide que nul ne pouvait combler. Et c’est alors qu’apparut Lothaire, ancien légionnaire au cœur durci, dont le regard ne trahissait que mépris pour les vaahvas et leurs coutumes. Son ombre grandissante annonçait la tempête. | ||
+ | ===La trahison, ou le poison du foyer=== | ||
+ | Le pire, cependant, ne vint pas de l’étranger, mais du cœur même des Azari. Zeri, le prae phalangiste, celui qui avait épousé Kyria par calcul plus que par amour, se révéla dans toute sa froide perfidie. Leur union, née sous les auspices du Chapitre, n’avait jamais été qu’un mariage de raison – et la raison, parfois, est sans pitié. | ||
+ | Le 22 septembre 524, le coup de grâce fut porté. Lothaire et ses hommes, lames nues et regards implacables, renversèrent le Chapitre. Kyria, déchue, ne dut son salut qu’à la fuite, emportant avec elle son fils, Sasha, dernier vestige d’un pouvoir évanoui. Zeri, lui, signa l’arrêt de mort de son propre foyer en cautionnant le coup d’État, sacrifiant son épouse sur l’autel de son ambition. | ||
+ | ===L’effondrement d’un monde=== | ||
+ | Les Azari, jadis symbole d’une unité improbable, furent dispersés comme feuilles au vent. Anja, l’âme brisée, retourna à sa tribu, désormais affaiblie par le départ de ses guerriers et de son chef, Onak. Les vaahvas, naguère contrepoids redoutable, n’étaient plus qu’une ombre de leur ancienne puissance. De même pour la ronce Rouge qui quitta l’île ne restant que Neil qui tomba par la suite dans le camp de Lothaire. Qu’importe ce qu’on lui aurait dit, il a choisi son camp. | ||
+ | Ainsi tomba la maison Azari, non sous les coups du destin, mais par la main de ceux qui l’avaient bâtie. Et moi, témoin impuissant, je contemplais cette ruine, songeant que les empires, comme les Hommes, meurent toujours deux fois : une fois par le fer, une fois par la trahison. | ||
+ | ==Chapitre 7 : Cavale et voyage diplomatique== | ||
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+ | ===La proclamation d’un homme acculé=== | ||
+ | Il était temps, enfin, que je prisse part au massacre – fût-ce malgré moi. Dans l’ombre d’une nuit sans lune, tandis que la cité dormait d’un sommeil profond, je fixai à la pierre froide des murs d’Esperia ces mots, ultime cri d’un honneur qu’on avait cru mort :<br> | ||
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+ | ''“Esperiens, Il est temps de mettre fin à cette mascarade. Face à moi, des prétendus dirigeants qui ont abandonné leur honneur pour des jeux de pouvoir. Lothaire, Bilqis, Neil, Kalyn… Zeri et j'en passe. Vous avez tous choisi la force, la trahison, plutôt que le dialogue et la justice. Vous avez préféré manipuler, calomnier, et profiter du chaos. | ||
+ | Pourtant, vous aviez eu le choix du vote, de l'enquête comme le prévoyait le compendium : | ||
+ | -"Tout abus de fonction peut être considéré comme une trahison envers la mission et envers le peuple d’Esperia. Ainsi, le Chapitre d’Esperia peut enquêter, en premier lieu sur les soupçons de fautes. Si cela s’avère véritable, alors le Chapitre d’Esperia peut démettre le Régent de sa fonction et l’assigner au Tribunal." | ||
+ | Au lieu de ça, vous vous êtes attribué le monopole de la violence en enfonçant la porte du Manoir Haut Château. Vous n'êtes que des hors-la-loi à mes yeux. Accusez vous la régente tout en enfonçant les porte derrière lesquels un pauvre Adaarion s'était réfugié ? Prétendez-vous être les plus malins quand ce même adaarion vous échappe plus facilement que l'eau dans le creux d'une main ? J'espère que la future garde ne sera pas de cet acabit sinon je craindrai sincèrement pour mon argent. | ||
+ | Je me suis retrouvé en un homme en cavale, je n’ai ni armée ni appuis, mais j'ai du moins, je l'espère de l'honneur. La décision la plus rationnelle est simple : je me rends, seul, face aux faits. Mais sachez qu'Esperia ne l'oubliera pas. Que le jugement d'Arbitrio tombe. Que cette parodie de procès s'ouvre, de mon côté, acculé, je rends le tablier. | ||
+ | Pour Esperia. | ||
+ | Citoyen Kaarlo Laïne, ex ambassadeur et recteur de l'académie.”'' | ||
+ | |||
+ | ===La chasse, la geôle, et le regard de Lothaire=== | ||
+ | Ils vinrent, bien sûr. Comment eussent-ils pu laisser libre celui qui osait leur tenir tête ? Lié au Chapitre déchu par ma charge, j’étais une proie désignée. Pourtant, je leur échappai d’abord – dérisoire victoire. Deux jours durant, je errai dans les bois, fuyant comme une bête traquée, jusqu’à ce que la faim et le froid eussent raison de ma fierté. Mieux valait rentrer tête haute que d’être ramené enchaîné. Hélas ! La geôle où ils me jetèrent était humide, glacée, et les barreaux en suintaient la cruauté. Lothaire lui-même vint m’y contempler, son gant serré autour du fer comme pour mieux étouffer tout espoir. Les coups pleuvaient, sourds et méthodiques, et je compris alors que ma survie tenait moins à leur clémence qu’à mon utilité : ils ne m’avaient pas estropié, car ils avaient encore besoin de moi. | ||
+ | ===Le voyage à Alcédine=== | ||
+ | Deux jours plus tard, on m’extirpa de ma prison pour m’envoyer vers Alcédine, sous l’œil inquisiteur de Gaya, ce colosse aux mains de bourreau. Officiellement, c’était une mission diplomatique : retrouver le sénateur Oiva, vieille connaissance, et négocier sous mon égide des garanties commerciales pour la compagnie d’Alvize Negocielli, ce Caroggian dont la compagnie marchande devait être le fer de lance de l’influence espérienne. | ||
+ | Mais comment feindre l’ignorance ? Entre les lignes polies de nos discours, je glissai des avertissements, des demi-mots que Gaya ne saisit point, mais qu’Oiva, lui, comprit trop bien. Son regard se fit alors lourd de ce qu’il ne pouvait dire : Alcédine ne se mêlerait pas des affaires d’Esperia. Le coup d'État et le règne de Lothaire – tout cela était désormais notre fardeau à porter seuls. | ||
+ | |||
+ | ==Chapitre 8 : Résistance de l’Onde et échec== | ||
+ | |||
+ | ===La dernière flamme=== | ||
+ | Je me joignis à la résistance de l’Onde, menée par le mésigue Isaak. Une seule conversation avec cet homme suffit à sceller mon engagement – non qu’il eût besoin de grands discours pour me convaincre. Depuis la chute des Azari, j’étais un loup solitaire, rongeant son frein dans l’ombre. Désormais, nous étions une meute. | ||
+ | Notre repaire ? Le vieux fort Louvoy, ce tas de pierres oublié sur son îlot, vestige d’un temps où Esperia croyait encore aux remparts. Entre ces murs lézardés, nous forgions notre révolte : Anja, l’âme brisée mais le bras encore ferme ; Azadeh, mon amie de la dernière brumaire ; Rumi la nouvelle pravadyr ; et d’autres, visages déterminés qui, pour un temps, crurent à l’impossible. Nous nous entraînions, nous préparions le soulèvement. Ce vieux tas de ruine allait être le bastion de la liberté. | ||
+ | Mais l’espoir est une denrée périssable. | ||
+ | ===Le poison de la trahison=== | ||
+ | Il y eut une faille. Une seule. Azadeh. | ||
+ | Pouvais-je lui en vouloir ? Elle, la Qadjaride, dont le sang réclamait loyauté au clan avant tout. Elle, avec qui j’avais partagé les neiges de la nivôse sous cet arbre, où nos mots, pudiques, avaient tissé une amitié que je croyais indéfectible. Mais le clan appelle, et le cœur n’a pas toujours le dernier mot. Elle parla à Gaya, son frère de clan, qui courut rapporter nos plans à Lothaire. | ||
+ | ===Le sang sur l'herbe=== | ||
+ | Ils frappèrent d’abord le camp vaahva. Isaak s’y cachait. Sasha aussi. Quand j’arrivai, ce fut pour voir Anja, furie échevelée, se jeter sur Lothaire et Gaya. Elle, la guerrière des Sept, contre deux loups bardés de fer. Sasha, petit spectre pâle, tremblait à l’écart. Je n’eus pas le temps de dégainer. Une lance à la main, Sasha chargeait Gaya – coup inutile, son armure riait de sa fureur. Alors, rengainant l’épée, j’arrachai l’enfant à ce champ de mort, l’emportant sous mon bras comme un butin maudit. | ||
+ | Dans ses yeux, je lis la haine. Il me haïssait déjà. Je l’arrachais à sa tante, à celle qui allait mourir pour lui. Mais je ne pouvais pas le laisser à Zeri. | ||
+ | ===La chasse, et l’adieu=== | ||
+ | Ils traquèrent Isaak comme une bête. Moi, je leur jouai un dernier tour : au lieu de fuir, j’allai à la Cage, défiant leur arrogance. Je savais que je ne vaincrais pas ces soldats aguerris. Mais ils n’auraient pas la satisfaction de me traquer comme un gibier. | ||
+ | Isaak tomba le 9 octobre, sabré dans les bois. | ||
+ | Quant à moi, Lothaire, dans son ironie cruelle, m’offrit encore un rôle : diriger l’Académie, comme si rien ne s’était passé. Comme si Anja ne gisait pas froide, comme si Kyria n’avait pas disparu, comme si Isaak n’était pas mort pour rien. Siffleur était un idéologue grotesque mais ne représentait réellement rien… Lothaire , lui, avait largement franchi la limite. J'ai cru pouvoir manier l'ombre sans devenir ombre moi-même. J'avais tort. | ||
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+ | J'ai refusé. | ||
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+ | Le 15 octobre 524, un an jour pour jour après mon arrivée, je quittai Esperia en compagnie de Fel vers un exil… Ou une fuite ? Ce départ était pour moi un aveu d’échec, c’était ma propre honte d’abandonner ici. | ||
+ | L’île m’avait pris ma naïveté, mes amis, mes illusions. Elle ne m’aurait pas mon âme. | ||
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+ | ==épilogue : un nouveau départ== | ||
+ | {{HRP}}Pas terminé{{/HRP}} {{/RP}} | ||
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+ | {{HRP}}NB : Style d’écriture largement inspiré des “Mémoires d'outre tombe” de Chateaubriand et du Prince de Machiavel.{{/HRP}} |
Version du 11 avril 2025 à 21:07
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Cet écrit a été rédigé par Kaarlo, et a vraisemblablement été perdu, emporté sur l'ancien monde ou pourrissant dans quelques endroits oubliés.
Mise en forme en cours, Attention l'ouvrage n'est pas présent sur la nouvelle esperia et toute utilisation ou connaissance de cet écrit en jeu est interdit
Sommaire
- 1 Mémoire d’Outre Ponant par Kaarlo Laïne en Esperia.
- 1.1 Chapitre 1 : Les premiers jours,la captivité et la libération.
- 1.2 Chapitre 2 : La fin de Nicolas Veretti & le problème vaahva
- 1.3 Chapitre 3 : Portrait croisé des principaux acteurs du chapitre
- 1.4 Chapitre 4 : Les jours agités du Chapitre
- 1.5 Chapitre 5 : Mes expériences sur Esperia
- 1.6 Chapitre 6 : La chute des Azari
- 1.7 Chapitre 7 : Cavale et voyage diplomatique
- 1.8 Chapitre 8 : Résistance de l’Onde et échec
- 1.9 épilogue : un nouveau départ
Mémoire d’Outre Ponant par Kaarlo Laïne en Esperia.
C’est ce 15 octobre de l’année 523 que je mis le pied sur l’île d’Esperia, encore jeune homme, plein d’idéaux, d’interrogations et d’un certain détachement pour ce qui m’attendait. Aujourd’hui, en consignant ces lignes, je réalise combien cette île, où je fus spectateur et acteur d’événements d’une intensité rare, m’a transformé. Esperia ne laisse personne intact. On y entre une âme, on en ressort une autre.
Je n’ai ni la prétention de l’exhaustivité, ni celle d’un récit académique respectueux des normes. Cet écrit n’est pas destiné à franchir les portes des grandes bibliothèques ou à résonner dans les amphithéâtres de mon ancienne université de l’Oppikaupunki. Il est mien, personnel, et se fera le miroir de deux regards : celui de l’historien qui s’attache aux faits, froidement, et celui de l’homme qui vécut, sentit et s’engagea malgré lui.
Ainsi, je me livre ici à une tentative d’équilibre périlleux, où s'entrelacent objectivité et subjectivité. Je ne chercherai pas à occulter mes propres actions – modestes et discrètes qu’elles furent. Si mon rôle, pour l’essentiel, s’est tenu dans l’ombre, ce livre en livrera néanmoins quelques échos. Je ne suis, après tout, qu’un simple érudit adaarion originaire d’Edella, formé à l’étude des cartes et des paysages. Mais en Esperia, les chemins s’entrelacent, et même les géographes les plus rêveurs finissent par marcher au bord des précipices de la politique. J’’ai quitté l’île, différent, mûri, porteur d’histoires et que je m’efforcerai de restituer.
Chapitre 1 : Les premiers jours,la captivité et la libération.
À peine arrivé en Esperia, je fus acheté comme esclave par Onak, pravadyr de la tribu Soroja, devant l’indifférence des autres arbitrés de la ville. Cet homme, alors vaahva dans toute sa force et son autorité, m’aura pourtant offert une expérience inattendue : celle de me confronter à un monde radicalement étranger au mien.
Issu d’une nation marqué par le monachisme et une certaine rigueur doctrinale, je découvrais le culte des Sept, leurs rites et leurs perspectives. Ce fut pour moi une ouverture salutaire. Je ne portais ni haine ni hostilité à cette foi avant d’arriver, mais en la côtoyant de près, j’en ai appris davantage que bien des hommes libres ne le pourraient. Cette compréhension me fut précieuse pour les relations que je tissai par la suite.
Très vite, je fus témoin des premières intrigues, des premières trahisons, et des premières pertes. Je me souviens encore de ces deux noms – Romaric et Karmen – qui, bien qu’inconnus pour moi alors, laissèrent derrière eux un vide palpable dans le cœur des habitants. Leur mort marqua un tournant dans le destin de l’île. J’assista au procès des assassins, des factionnaires du bourbier qui tenteront d’arracher la vie au Chancelier Rosso, bras droit de Nicolas, Celui-ci ne perdit qu'un œil - Il porta dès lors son cache-misère avec une certaine fierté, comme un trophée de guerre, tout en continuant de noyer son unique œil valide dans les flots d'alcool qui constituaient son élément naturel. Par la suite, je fus présent aux funérailles de Romaric et Karmen, ceux qui à mon arrivée gouvernaient encore la cité. Au milieu du chapiteau dressé à côté du navrat se tenait un homme que je m’apprête à décrire : Nicolas Veretti, qui allait bientôt se muer en régent d’Esperia.
De lui, il serait juste de dire qu’il fût là, simplement là, telle une ombre posée sur le rivage du moment, sans éclat ni empreinte, témoin muet d’une scène qui n’attendait rien de lui. Élu régent, il traversa les premiers mois de son mandat sans écrire la moindre loi, préférant jeter aux ordures l’ancien codex plutôt que d’y apporter des amendements.
Malgré cette inertie apparente, Veretti nomma Rumi, une vaahva de la tribu Soroja, à l’intendance du Bourbier. Libéré de ma condition servile, je deviens son adjoint. Rumi, femme d’un caractère ambivalent, portait un regard critique sur les usages arbitrés, notamment la monnaie, tout en s’y adaptant avec une habileté surprenante. Elle trouva sa place dans un système qu’elle semblait pourtant rejeter. Autre fait étonnant fut mon amitié naissante avec Azadeh de Chantefeu une qadjaride qui comme son nom pourrait le laisser deviner ne manquait pas de vitalité.
Chapitre 2 : La fin de Nicolas Veretti & le problème vaahva
Le bourg d’Esperia fut plongé dans un étrange silence ce soir du 25 février 524. Une pluie fine et persistante s’abattait sur la ville, mais cela n’empêcha pas la population entière de se masser devant l’hôtel de ville. On venait assister à la déposition de Nicolas Veretti, le régent sans éclat, dont le pouvoir s’éteignait comme s’il n’avait jamais véritablement brûlé.
Il est à noter que cette transition se fait sans effusion de sang. Un fait rare, que je ne peux attribuer qu’à l’intelligence politique de mon frère, Tiitus. Celui-ci, par une habileté remarquable, sut se hisser en position d’arbitre et de juge, s’imposant comme une figure de consensus. Onak, ce chef vaahva d’une clairvoyance brute, perçut en Tiitus ce que ce dernier voulait qu’il perçoive : un homme sage, apte à gouverner. Je mentirais si je prétendais que ce jugement était erroné.
Ainsi s’acheva le gouvernement de Nicolas Veretti, laissant derrière lui une leçon essentielle pour quiconque prétendrait prendre les rênes d’Esperia : un gouvernement sans garde est un gouvernement sans bras. La force armée, en ce lieu où passions et luttes se mêlent, n’est pas un luxe, mais une nécessité.
Une seconde leçon, tout aussi cruciale, émergea des cendres de ce régime : l’art de gouverner en Esperia réside dans l’intégration des groupes divers qui composent cette communauté diverse. Un prince avisé doit savoir agréger en son sein des factions opposées, non seulement pour répartir les tâches et étendre son influence, mais aussi pour laisser ces groupes se disputer entre eux les faveurs du pouvoir. Il lui incombe alors de veiller à ce que ces factions ne trouvent jamais de cause commune contre lui.
C’est ici qu’intervient le problème vaahva.
Contrairement aux arbitrés, les vaahvas portent en eux une culture profondément ancrée de la violence et de son usage. Ce n’est pas un vice, mais une réponse naturelle aux conditions de vie hostiles dans lesquelles ces peuplades ont évolué. La plupart d’entre eux savent se battre, et leur maîtrise des armes les rend à la fois précieux et dangereux. Pour un prince d’Esperia, les vaahvas représentent une menace latente, surtout si le conflit éclate entre eux et le pouvoir central.
Cependant, il serait mal avisé de tenter de les intégrer de force dans le système politique urbain. Les vaahvas ne revendiquent pas le pouvoir des villes, et chercher à les y placer risquerait de mécontenter les arbitrés, bien plus adaptés à la gestion des affaires civiques. Un prince avisé doit donc trouver un équilibre : écouter les vaahvas, leur laisser vaquer à leurs occupations en dehors des murs de la ville, tout en s’assurant de maintenir la paix.
Pour garantir cet équilibre, une mesure prudente s’impose : inclure un vaahva au sein de la garde, au rang de sergent, par exemple. Cette présence servirait de contrepoids, dissuadant tout débordement de la garde contre les vaahvas et permettant de préserver une coexistence fragile mais nécessaire.
Chapitre 3 : Portrait croisé des principaux acteurs du chapitre
À ce tournant crucial de l’histoire d’Esperia, quelques figures se détachent du tumulte général, chacune incarnant une facette particulière de l’équilibre précaire qui régissait l’île. Ces individus, par leurs actions et leurs ambitions, jouèrent un rôle déterminant dans le cours des événements.
Je commencerai par celui que je considère comme l’architecte de la paix : l’ennen Tiitus. Il était un homme d’une intelligence rare, mais qui se distinguait davantage par sa sagesse pratique que par l’éclat d’un orateur. Peu enclin aux grands discours ou aux positions tranchées, il savait offrir à chaque interlocuteur l’illusion qu’il n’était pas son ennemi. Cette capacité à incarner une neutralité rassurante fit de lui un acteur clé de la stabilisation politique. Ce style de gouvernance, modeste et pragmatique, pourrait inspirer tout prince d’Esperia. Tiitus avait compris qu’il n’était pas nécessaire de personnifier l’État ; au contraire, il laissait cette fonction à d’autres, se contentant d’agir efficacement en coulisses. Son objectif était clair : prospérer, et pour prospérer, il fallait d’abord stabiliser une société en proie aux divisions. Pour atteindre ce but, Tiitus s’appuyait sur sa capacité à parler à tous, à comprendre les désirs et les ambitions de chacun. Il avait saisi une vérité fondamentale : pour anticiper les actes d’un homme, il faut d’abord en connaître les objectifs. En cela, il incarnait l’administrateur parfait, un homme de compromis et de paix, dont l’influence s’exerçait dans l’ombre, loin du soleil.
Mais il ne portait pas seul le poids de la gouvernance. À ses côtés se tenait Ivanka, la pro-abbus qui dirigea le chapitre en collaboration avec l’ennen. Leur entente, si fluide et si harmonieuse, donna l’impression d’une véritable union des esprits, si bien que certains murmuraient qu’un mariage aurait été la suite logique de cette association. Ensemble, ils offraient à l’État une direction ferme et efficace, une stabilité dont Esperia avait cruellement besoin après le désastre du régime de Veretti.
Cependant, un autre homme nourrissait des ambitions différentes et convoitait également Ivanka : Siffleur, l’Ocolidien. Cet homme singulier, prêt à renier sa propre foi pour embrasser le Phalangisme et ainsi se rapprocher d’un éventuel mariage avec Ivanka, incarnait une approche beaucoup plus audacieuse – et maladroite – de la politique. Siffleur poursuivait un objectif ambitieux et controversé : intégrer de force les communautés vaahvas et qadjarides au sein de la ville elle-même. Mais son projet échoua lamentablement, pour des raisons qui, rétrospectivement, paraissent évidentes. D’abord, le gouvernement, dirigé par Tiitus et Ivanka, ne soutenait pas son initiative. Ensuite, les communautés concernées – vaahvas et qadjarides – ne partageaient pas son désir d’intégration forcée. Enfin, et peut-être surtout, la seule entité armée indépendante de l’île, la Ronce Rouge, s’opposait fermement à ce projet.
La ronce Rouge était une organisation de mercenaires qui n’avait de mercenaires que le nom. Une compagnie de gens en armure suivant des contrats à la lettre sans jamais les trahir en sous-entendant bien sûr qu’ils n’avaient jamais eu de meilleure offre pour changer de camp. Je dois avouer que la méfiance était de mise mais je me suis ensuite rendu compte qu’ils avaient tout pour être une garde sans l’être officiellement et à contrat à durée déterminée.
Elle surgit dans l'histoire d'Esperia comme une lame tirée au crépuscule - Kyria, l'espionne de Veretti avant sa trahison, devenue capitaine, puis régente. Son ascension traçait dans les airs la courbe parfaite d'un destin politique, mais qui pouvait donc prétendre connaître l'âme cachée sous cette façade ? Elle qui offrait au monde le visage d'une guerrière impénétrable : ce regard d'acier, cette voix qui claquait comme un étendard. Une façade de force, oui, mais combien fragile à qui savait observer. J'ai vu les fissures dans ce marbre - ces nuits où ses doigts tremblaient en tournant les pages du Compendium. Étrange alchimie que cette femme ! Cynique dans l'expression, mais prompt au pardon ; têtue comme une mule, mais d'une curiosité insatiable qui faisait écho à la mienne. Elle croyait, contre toute évidence, en la perfectibilité des âmes - folle générosité qui expliquait sans doute cette "famille Azari", ce regroupement improbable de cultes et d'origines qu'elle avait rassemblé. Était-ce sagesse ou désespoir ? Ou simplement cette angoisse existentielle que je devinais dans son regard… La garde qu'elle refonda fut son chef-d'œuvre apparent. Mais sa véritable création fut ce foyer bigarré où chacun trouvait place. Peut-être cherchait-elle ainsi à recomposer par procuration l'harmonie qui lui manquait. Peut-être n'était-ce qu'une autre forme de combat - contre la solitude, contre les fantômes du passé. Kyria portait ses contradictions comme d'autres arborent des décorations avec une fierté douloureuse. Et c'est sans doute cette vulnérabilité secrète qui fit d'elle, malgré tout un temps, la meilleure d'entre nous.
Chapitre 4 : Les jours agités du Chapitre
Kyria Azari, ou l’ombre portée de la loi
C’est sous les auspices d’un ciel incertain que Kyria Azari ceignit l’épée de capitaine, élevant par la seule force de sa volonté les ruines d’une garde oubliée. Femme de fer aux yeux bleues de glace, elle incarna bientôt l’ordre d’Esperia, ou du moins ce qu’il en restait. Je l’observai, moi, spectateur silencieux, tandis qu’elle tissait autour d’elle le filet d’une autorité sans partage. La garde, cette enfant moribonde de la cité, reprenait vie sous ses doigts, mais à quel prix ? Les murmures disaient qu’elle la portait à elle seule l’institution comme une mère berçant un fils condamné.
L’affaire Sixte, ou le poison des mots
Parmi les ombres qui hantèrent ces jours fiévreux, une silhouette courbée se détache : celle de Sixte, le hura phalangiste, médecin aux mains savantes et à l’âme rongée. L’opium, ce serpent visqueux, l’avait enlacé jusqu’à le plier en deux, le réduisant à l’état de spectre claudiquant, appuyé sur une canne comme sur une béquille de honte. Mais son véritable venin ne coulait pas dans une fiole – il distillait sa haine en paroles acérées, maudissant les vaahvas avec la ferveur d’un fanatique.
Un soir, alors que j’avais convié les esprits érudits de l’île à un colloque sous les voûtes de l’Académie, Sixte osa exhiber son venin. Il présenta un ouvrage, certes savant, mais souillé de mépris. Les vaahvas, ces fils du fer et des sept mers, ne purent souffrir l’affront. Leurs lames brillèrent dans la pénombre, et l’érudition céda devant la colère.
Le Chapitre, ce tribunal des âmes, le jugea le quinze avril de l’an cinq cent vingt-quatre. Coupable d’outrage, coupable d’avoir attisé les haines, mais innocent de blasphème – comme si Arbitrio, lui-même, détournait les yeux. Sa sentence fut net : « Remis en esclavage, endetté de trois cents pièces envers ceux qu’il avait vilipendés, et condamné au sevrage, pour que son corps souffrît autant que son orgueil. »
La fracture des tribus
Cette affaire, en apparence locale, fut un coup de hache dans le tronc déjà fissuré des alliances tribales. Vaahvas et Qadjarides, jusqu’alors unis dans leur exil extra-muros, se déchirèrent. Les premiers exigeaient vengeance ; les seconds, par quelque ironie du sort, offrirent asile à Sixte, comme pour narguer leurs frères ennemis. Ainsi se brisa l’équilibre précaire que Tiitus avait patiemment ourdi. En effet, le clan Cirkla, séduit par les promesses de Siffleur, finit par franchir les murs de la cité, rompant ainsi l'alliance qui les liaient aux vaahvas. Ce reniement me fut cruellement rappelé lors d'une soirée au manoir du haut-jardin. Ce que je découvris dans le salon me souleva le cœur : deux silhouettes grotesques - le vice appuyé sur sa canne comme sur une béquille de morale, et l'apostat, sirotant son thé de honte. Sixte et Siffleur. Ils me demandèrent mon avis, évoquant avec une familiarité déplacée mes liens avec Anja. Leur proposition était claire : rejoindre leur projet de conversion. Une tentation fugace traversa mon esprit mais la raison l'emporta. Ironie du destin, Siffleur, cet homme cultivé jusqu'à l'affectation, légua à l'Académie une partie de sa fortune en échange d'un portrait. J'acceptai ce marché, sachant pertinemment que l'œuvre ne survivrait pas aux prochains travaux. Cette ambivalence calculée relevait sans doute de l'hypocrisie - je m'en accuse aujourd'hui. Mais l'Académie, ce sanctuaire du savoir qui nous rassemblait tous, valait bien ce compromis. Pouvais-je, en ces temps de fractures, afficher ouvertement mes préférences ? L'Histoire m'a répondu cruellement, me forçant bientôt à choisir un camp. Reste cette question : jusqu'où peut-on feindre la neutralité avant de devenir complice ? Ma réponse est la suivante : Un ambassadeur est comme le roseau ,il plie mais ne rompt point. J'ai courbé l'échine assez longtemps pour que l'Académie tienne debout. Mais il vient toujours un moment où le roseau doit soit se briser, soit devenir une arme. La neutralité n'est point lâcheté, mais prudence du sage. Tant que les murs de l'Académie tiennent debout, tant que ses pupilles s'emplissent de lumière plutôt que de sang, mon âme peut supporter ce poids d'apparente duplicité. Le savoir survit aux régimes me disais-je… Mais le compromis n’est acceptable qu’à un certain point.
L’ascension discrète du Prae Zeri
Et tandis que ces tempêtes grondaient, une ombre plus discrète glissait entre les murs du pouvoir : le Prae Zeri, nommé commis du Chapitre. Poste modeste, presque risible, mais premier pas d’une marche silencieuse vers les hauteurs. L’histoire, souvent, se joue dans ces interludes négligés. Plus tard, il sera celui qui dirigera la foi non sans avoir exécuté Sixte mettant sans doute un terme à sa souffrance en répandant le sang hura. Zeri aura sans doute glissé dedans.
Chapitre 5 : Mes expériences sur Esperia
Mes pérégrinations furent moins nombreuses que ne l'eussent souhaité ma curiosité et mon devoir. Deux fois seulement je foulai le sol d'Alcédine, mais cette fréquentation assidue du sénateur Oiva me permit de prolonger nos échanges par lettre interposée et de consigner l'histoire dans un traité qui, je l'espère, survivra aux caprices du temps.
Le premier de ces voyages mérite pourtant qu'on s'y attarde, ne fût-ce que pour la leçon qu'il m'enseigna. La mer, cette éternelle traîtresse, nous dépêcha d'abord ses furies sous forme de tempête, puis, quand nos nerfs étaient déjà à vif, ses écumeurs vinrent ajouter l'horreur humaine aux terreurs élémentaires. Ce fut là que je vis pour la première fois la vie s'éteindre sous ma lame - expérience qui imprima en moi, plus que tous les traités, la nécessité absolue de routes maritimes sûres. J'en formalisai d'ailleurs les principes dans ma "Doctrine navale", où le sang versé ce jour-là se mua en encre préventive.
Mais laissez-moi quitter ces considérations stratégiques pour évoquer ce qui fit véritablement la richesse de mon séjour : mes élèves. Chacun d'eux fut un livre ouvert où je pus lire, bien mieux que dans les parchemins, l'âme complexe d'Esperia.
Azadeh : Une qadjaride venue me voir pour devenir ouvrière-mineuse. Diplômé de géographie j’avais les moyens de lui en apprendre plus qu’il ne le fallait et je dois dire qu’elle fut d’une incroyable perspicacité et d’une soif d’apprendre exceptionnel.
Da : Une petite à qui j’ai appris les bases de la lecture et de l'écriture. Elle fut bonne élève et sans doute que si nous avions continué les cours elle serait devenue la plus érudite des Eyjarskas.
Héraïs : Une charmante demoiselle rousse qui voulut elle aussi devenir ouvrière. J’ai apprécié lui dispenser le savoir nécessaire au vu de son tempérament calme qui aidait.
Elias : Membre de la ronce rouge et fort combattant que je n’aurais osé défier qu’en dernier recours. Il appris à manier les mots aussi bien que son épée.
Anja : Charmante jeune rousse vaahva qui aurait tout eu pour faire une parfaite adaarionne si elle n’avait pas été du culte des septs. Elle apprit la médecine à mes côtés et ceux de Sixte même si celui-ci la faisait plus souffrir moralement qu’autre chose en tentant de la convertir.
Kyria : Une forte tête qui visiblement devenait un peu plus calme quand on parlait de choses d’apothicaire.
Zeri : Un élève calme et posé, en mettant mes animosité de côté pour lui apprendre la botanique de la ferme j’aurais pu entrevoir un peu d’humanité en lui.
Tiitus : Mon cher frère qui en plus de manier la pâte sait désormais manier le burin.
Sasha : Triste enfant qui n’aura pas eu le plus de chance en ce bas monde. Malgré tous ses malheurs j’ai pu je l’espère lui apporter de quoi être armé intellectuellement face au monde.
Découverte : Il en faudrait un carnet à part pour détailler le procédé mais j’ai découvert une plante étrange dont les fruits semblaient avoir des propriétés pour diminuer la fatigue. Je me suis tourné alors vers mon frère Tiitus avec lequel nous aurions mis au point un procédé à base de torréfaction pour le manger… ou le boire.
Chapitre 6 : La chute des Azari
Le crépuscule doré d’une dynastie
Tout semblait sourire aux Azari. Kyria, jadis capitaine au regard d’acier, ceignait désormais le manteau de régente, et les festins se succédaient dans un tourbillon d’insouciance. Mais hélas ! Les cours les plus fastueuses ne sont souvent que des balcons sur l’abîme. La garde, privée de sa main de fer, sombra peu à peu dans une léthargie funeste, et l’on eût dit qu’Esperia retenait son souffle, attendant l’inévitable chute. Fin août 524, on me confia les rênes de l'ambassade - ironie du sort, alors que l'édifice Azari commençait à vaciller. Quel renversement pourtant ! En l'espace de quelques semaines fiévreuses, j'accomplis plus que durant toute l'année de stagnation précédente. Ma priorité se trouvait entre Esperia, Alcédine Solres et Polperro, tandis que Rivelle se profilait à l'horizon comme un partenaire potentiel. Mais la causalité roulait dans l'ombre : la veille même où devait partir la missive pour Rivelle, le malheur frappa.
Mercure, ou le premier sang versé
La descente aux enfers commença par une mort – celle de Mercure, l’amant caroggian d’Anja, phalangiste au verbe ardent et au destin brisé. Les Azari formaient alors une mosaïque bigarrée, un fragile équilibre de sang et de croyances : Kyria, l’iconodoule inflexible ; Zeri, son époux prae, austère et calculateur ; Anja, la vaahva des Sept, sauvage et passionnée ; et tant d’autres, tous liés par quelque pacte invisible, toutes les fois de l’île réunies sous un même toit. Mais la disparition de Mercure, survenue à la fin d’août, déchira ce voile d’harmonie. Pour Anja, ce fut une blessure inguérissable, une douleur muette qui creusa en elle un vide que nul ne pouvait combler. Et c’est alors qu’apparut Lothaire, ancien légionnaire au cœur durci, dont le regard ne trahissait que mépris pour les vaahvas et leurs coutumes. Son ombre grandissante annonçait la tempête.
La trahison, ou le poison du foyer
Le pire, cependant, ne vint pas de l’étranger, mais du cœur même des Azari. Zeri, le prae phalangiste, celui qui avait épousé Kyria par calcul plus que par amour, se révéla dans toute sa froide perfidie. Leur union, née sous les auspices du Chapitre, n’avait jamais été qu’un mariage de raison – et la raison, parfois, est sans pitié. Le 22 septembre 524, le coup de grâce fut porté. Lothaire et ses hommes, lames nues et regards implacables, renversèrent le Chapitre. Kyria, déchue, ne dut son salut qu’à la fuite, emportant avec elle son fils, Sasha, dernier vestige d’un pouvoir évanoui. Zeri, lui, signa l’arrêt de mort de son propre foyer en cautionnant le coup d’État, sacrifiant son épouse sur l’autel de son ambition.
L’effondrement d’un monde
Les Azari, jadis symbole d’une unité improbable, furent dispersés comme feuilles au vent. Anja, l’âme brisée, retourna à sa tribu, désormais affaiblie par le départ de ses guerriers et de son chef, Onak. Les vaahvas, naguère contrepoids redoutable, n’étaient plus qu’une ombre de leur ancienne puissance. De même pour la ronce Rouge qui quitta l’île ne restant que Neil qui tomba par la suite dans le camp de Lothaire. Qu’importe ce qu’on lui aurait dit, il a choisi son camp. Ainsi tomba la maison Azari, non sous les coups du destin, mais par la main de ceux qui l’avaient bâtie. Et moi, témoin impuissant, je contemplais cette ruine, songeant que les empires, comme les Hommes, meurent toujours deux fois : une fois par le fer, une fois par la trahison.
Chapitre 7 : Cavale et voyage diplomatique
La proclamation d’un homme acculé
Il était temps, enfin, que je prisse part au massacre – fût-ce malgré moi. Dans l’ombre d’une nuit sans lune, tandis que la cité dormait d’un sommeil profond, je fixai à la pierre froide des murs d’Esperia ces mots, ultime cri d’un honneur qu’on avait cru mort :
“Esperiens, Il est temps de mettre fin à cette mascarade. Face à moi, des prétendus dirigeants qui ont abandonné leur honneur pour des jeux de pouvoir. Lothaire, Bilqis, Neil, Kalyn… Zeri et j'en passe. Vous avez tous choisi la force, la trahison, plutôt que le dialogue et la justice. Vous avez préféré manipuler, calomnier, et profiter du chaos. Pourtant, vous aviez eu le choix du vote, de l'enquête comme le prévoyait le compendium : -"Tout abus de fonction peut être considéré comme une trahison envers la mission et envers le peuple d’Esperia. Ainsi, le Chapitre d’Esperia peut enquêter, en premier lieu sur les soupçons de fautes. Si cela s’avère véritable, alors le Chapitre d’Esperia peut démettre le Régent de sa fonction et l’assigner au Tribunal." Au lieu de ça, vous vous êtes attribué le monopole de la violence en enfonçant la porte du Manoir Haut Château. Vous n'êtes que des hors-la-loi à mes yeux. Accusez vous la régente tout en enfonçant les porte derrière lesquels un pauvre Adaarion s'était réfugié ? Prétendez-vous être les plus malins quand ce même adaarion vous échappe plus facilement que l'eau dans le creux d'une main ? J'espère que la future garde ne sera pas de cet acabit sinon je craindrai sincèrement pour mon argent. Je me suis retrouvé en un homme en cavale, je n’ai ni armée ni appuis, mais j'ai du moins, je l'espère de l'honneur. La décision la plus rationnelle est simple : je me rends, seul, face aux faits. Mais sachez qu'Esperia ne l'oubliera pas. Que le jugement d'Arbitrio tombe. Que cette parodie de procès s'ouvre, de mon côté, acculé, je rends le tablier. Pour Esperia. Citoyen Kaarlo Laïne, ex ambassadeur et recteur de l'académie.”
La chasse, la geôle, et le regard de Lothaire
Ils vinrent, bien sûr. Comment eussent-ils pu laisser libre celui qui osait leur tenir tête ? Lié au Chapitre déchu par ma charge, j’étais une proie désignée. Pourtant, je leur échappai d’abord – dérisoire victoire. Deux jours durant, je errai dans les bois, fuyant comme une bête traquée, jusqu’à ce que la faim et le froid eussent raison de ma fierté. Mieux valait rentrer tête haute que d’être ramené enchaîné. Hélas ! La geôle où ils me jetèrent était humide, glacée, et les barreaux en suintaient la cruauté. Lothaire lui-même vint m’y contempler, son gant serré autour du fer comme pour mieux étouffer tout espoir. Les coups pleuvaient, sourds et méthodiques, et je compris alors que ma survie tenait moins à leur clémence qu’à mon utilité : ils ne m’avaient pas estropié, car ils avaient encore besoin de moi.
Le voyage à Alcédine
Deux jours plus tard, on m’extirpa de ma prison pour m’envoyer vers Alcédine, sous l’œil inquisiteur de Gaya, ce colosse aux mains de bourreau. Officiellement, c’était une mission diplomatique : retrouver le sénateur Oiva, vieille connaissance, et négocier sous mon égide des garanties commerciales pour la compagnie d’Alvize Negocielli, ce Caroggian dont la compagnie marchande devait être le fer de lance de l’influence espérienne. Mais comment feindre l’ignorance ? Entre les lignes polies de nos discours, je glissai des avertissements, des demi-mots que Gaya ne saisit point, mais qu’Oiva, lui, comprit trop bien. Son regard se fit alors lourd de ce qu’il ne pouvait dire : Alcédine ne se mêlerait pas des affaires d’Esperia. Le coup d'État et le règne de Lothaire – tout cela était désormais notre fardeau à porter seuls.
Chapitre 8 : Résistance de l’Onde et échec
La dernière flamme
Je me joignis à la résistance de l’Onde, menée par le mésigue Isaak. Une seule conversation avec cet homme suffit à sceller mon engagement – non qu’il eût besoin de grands discours pour me convaincre. Depuis la chute des Azari, j’étais un loup solitaire, rongeant son frein dans l’ombre. Désormais, nous étions une meute. Notre repaire ? Le vieux fort Louvoy, ce tas de pierres oublié sur son îlot, vestige d’un temps où Esperia croyait encore aux remparts. Entre ces murs lézardés, nous forgions notre révolte : Anja, l’âme brisée mais le bras encore ferme ; Azadeh, mon amie de la dernière brumaire ; Rumi la nouvelle pravadyr ; et d’autres, visages déterminés qui, pour un temps, crurent à l’impossible. Nous nous entraînions, nous préparions le soulèvement. Ce vieux tas de ruine allait être le bastion de la liberté. Mais l’espoir est une denrée périssable.
Le poison de la trahison
Il y eut une faille. Une seule. Azadeh. Pouvais-je lui en vouloir ? Elle, la Qadjaride, dont le sang réclamait loyauté au clan avant tout. Elle, avec qui j’avais partagé les neiges de la nivôse sous cet arbre, où nos mots, pudiques, avaient tissé une amitié que je croyais indéfectible. Mais le clan appelle, et le cœur n’a pas toujours le dernier mot. Elle parla à Gaya, son frère de clan, qui courut rapporter nos plans à Lothaire.
Le sang sur l'herbe
Ils frappèrent d’abord le camp vaahva. Isaak s’y cachait. Sasha aussi. Quand j’arrivai, ce fut pour voir Anja, furie échevelée, se jeter sur Lothaire et Gaya. Elle, la guerrière des Sept, contre deux loups bardés de fer. Sasha, petit spectre pâle, tremblait à l’écart. Je n’eus pas le temps de dégainer. Une lance à la main, Sasha chargeait Gaya – coup inutile, son armure riait de sa fureur. Alors, rengainant l’épée, j’arrachai l’enfant à ce champ de mort, l’emportant sous mon bras comme un butin maudit. Dans ses yeux, je lis la haine. Il me haïssait déjà. Je l’arrachais à sa tante, à celle qui allait mourir pour lui. Mais je ne pouvais pas le laisser à Zeri.
La chasse, et l’adieu
Ils traquèrent Isaak comme une bête. Moi, je leur jouai un dernier tour : au lieu de fuir, j’allai à la Cage, défiant leur arrogance. Je savais que je ne vaincrais pas ces soldats aguerris. Mais ils n’auraient pas la satisfaction de me traquer comme un gibier. Isaak tomba le 9 octobre, sabré dans les bois. Quant à moi, Lothaire, dans son ironie cruelle, m’offrit encore un rôle : diriger l’Académie, comme si rien ne s’était passé. Comme si Anja ne gisait pas froide, comme si Kyria n’avait pas disparu, comme si Isaak n’était pas mort pour rien. Siffleur était un idéologue grotesque mais ne représentait réellement rien… Lothaire , lui, avait largement franchi la limite. J'ai cru pouvoir manier l'ombre sans devenir ombre moi-même. J'avais tort.
J'ai refusé.
Le 15 octobre 524, un an jour pour jour après mon arrivée, je quittai Esperia en compagnie de Fel vers un exil… Ou une fuite ? Ce départ était pour moi un aveu d’échec, c’était ma propre honte d’abandonner ici. L’île m’avait pris ma naïveté, mes amis, mes illusions. Elle ne m’aurait pas mon âme.
épilogue : un nouveau départ
Pas terminé
NB : Style d’écriture largement inspiré des “Mémoires d'outre tombe” de Chateaubriand et du Prince de Machiavel.