Utilisateur:Magdalena

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Vous consultez la fiche d'un personnage décédé.

     Mélisandre
Informations RP
Genre
Femme
Année de naissance
Rang


Famille






Métier
Métier
Compléments








Origines
Ville d'origine
Région d'origine
Informations HRP
Login Minecraft
Belzarb
Pseudo
Magdalena
Prénom IRL
Camille
Âge IRL
21







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Mélisandre / Magdalena

Panthère 1.gif

Portrait



  • Prénom : Depuis son retour sur l'île, la jeune femme se fait appeler Mélisandre. Peu sont ceux qui l'ont connue sous le nom de Magdalena. Il s'agit de la même personne.
  • Âge : 21 ans.
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  • Taille : 1m59.
  • Poids : 50 kg.
  • Religion : Culte monachiste.




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Allure : L’œil avisé percevra une noblesse sobrement distillée dans le maintien de la jeune femme. Nul rapprochement avec une noblesse d’âme n’est envisageable toutefois, car la griffe d’une morgue froide et distante balafre Mélisandre. Elle se conjugue la plupart du temps avec l’indolence racée de la brune, ajustée aux dimensions de son outrecuidance. L’apanage des fauves et de leur fatuité. Du félin cependant, Mélisandre n’a hérité que d’une inclinaison pour l’autonomie et l’isolement.



Il est d’ailleurs inhabituel de susciter des frémissements féroces chez cette nature farouche. Si ses traits empruntent généralement au flegme lisse de son tempérament, son regard demeure animé d’une éloquence vive. Il s’agit d’un regard vagabond, rarement pacifié par la mansuétude, souvent opacifié d’ombres qui se pelotonnent en serpents d’obsidienne, s’enroulent et grouillent et sifflent en silence. C’est un regard fréquemment dissipé, houleux, agité d’une immobilité contemplative et songeuse, dont le jour révèle un iris sombre et mauve, semblable à une ecchymose.

La nature a doté l’insulaire d’une chevelure dense, émaillée de boucles noires. Elles déferlent en habillant ses épaules avec le chaos qui caractérise l’essence de la bohème. L’ovale du visage est ainsi cerné de frisures sombres, aux extrémités desséchées par l’iode, le sel et le vent.


Les thermidors caroggians ont ambré la peau de Mélisandre comme l’océan polit les galets. Une carnation tiède, aux saveurs du soleil, qui porte, inscrit dans sa chair, le témoignage d’une nature houleuse. Le récit d’épisodes révolus s’agence ainsi à l’ombre de la nuque brodée de mèches folles : ici et là, on décrypte le langage âpre et cinglant du fouet. Son verbe a incisé l’échine en couleuvres nacrées, d’abord cuisantes, puis pâles, gravées en filigrane sur les épaules et le creux des reins.


Aptitudes

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  • Grille Rouleau à Percer.png Choix I : Couturière


  • Grille Livre et Plume.png Choix II : Éducation


  • Grille Cuir.png Choix III : Art (maroquinerie)

Sur l'Ancien Monde

Caroggia, Havre de fer et Fort-Didac.



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Loin au-dessus d’elle, le soleil dardait d’insolents rayons sur la place. Le monde tanguait, inondé de lumière et pourtant si sombre, acculant Magdalena dans une chambre noire exsangue de sens et peuplée de vertiges. Elle était seule, au milieu d’une foule de badauds, désorientée et impuissante. On la bouscula, l’exhortant à mettre un pied devant l’autre, la pressant vers une voie qu’elle rechignait à emprunter. Ses pieds butèrent contre les pavés irréguliers du port comme des chaînes entravaient ses chevilles.


« Avance, vaurienne ! »

On l’invectivait de toute part. Pas seulement les gardes, les habitants aussi, ces anonymes devenus légions qui oubliaient trop vite qu’elle venait de leurs rangs. Lena obéit, concentrant ses efforts pour ne pas trébucher, parvenant, petit à petit, à remonter l’allée jalonnée de regards voraces. A ces derniers, elle offrit son visage cerné de boucles noires, redressant la tête dans la lueur cuivrée du petit matin pour apercevoir, face à elle, sur la crête artificielle du gibet, la silhouette de Père.

« La Questure aux flottes a rendu son jugement ! Demetrio Belluti est rendu coupable de trahison à l’encontre de la République Marchande de Caroggia ! »

Une huée vindicative s’éleva. Droit, hiératique et nimbé d’une lumière aveuglante jetée par le contre-jour, le crieur public se dressait sur l’estrade de la potence, tenant entre ses mains le discours qui devait sceller le destin d’un homme.

« Sur la preuve écrite et irréfutable d’un billet émis par l’homme ici présent et initialement adressé à un collaborateur Ocolide, il est avéré que l’accusé monnayait régulièrement l’itinéraire de bâtiments marchands en provenance de Caroggia ! Ces informations confidentielles, concédées à des individus reconnus pour leur brigandage au large de nos côtes, avaient pour but de faciliter le pillage en haute mer de nos navires ! De ce fait, par son affiliation à des criminels Ocolides, Demetrio Belluti est considéré comme traître à sa nation et se voit par conséquent condamné à la peine capitale ! »

Une exclamation tonitruante jaillit de la populace. Le crieur public s’époumona pour la surpasser :

« Jouissant de ces rentes frauduleuses, le reste du noyau familial Belluti est déclaré complice ! Grâce à la mansuétude de notre Questure, la potence leur est néanmoins épargnée ! L’épouse et la fille cadette du foyer Belluti se voient à la place condamnées, sans préavis, à la mise en esclavage ! Enfin, en guise de dédommagement, les domaines de la famille au sein du quartier des Radieuses sont saisis par la ville ! »

Magdalena se figea. Ses fers mordirent cruellement ses poignets comme elle esquissait un geste de révolte, le cœur soulevé, à la frontière de la nausée. Elle voulu émettre un cri, un appel vers l’échafaud baigné d’une lumière éblouissante. C’est alors qu’un choc puissant et sourd frappa l’arrière de son crâne et que des vertiges consumèrent sa conscience.

Caroggia, quartier des Radieuses, manoir Belluti.



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De lourdes tentures se répandaient en franges épaisses et défraichies sur le sol du petit salon –à peine tirées, elles ne laissaient que peu de jour pour l’ouvrage. Point assez pour qu’on soupçonne quiconque d’occuper la pièce. Précaution indispensable pour s’arroger un peu d’intimité.

« Dire que la vieille Settima Vensceli habille sa carcasse de soie comme si ça pouvait la rendre plus désirable. »

Magdalena abandonna un instant le travail de l’aiguille pour lever les yeux vers son amie Sybille. Elle vit sa poitrine se soulever puis expectorer un soupir affligé ponctuant son commentaire. Entre les murs de la demeure Belluti, Sybille n’était qu’une domestique, la descendante d’une lignée d’affranchis. Les deux filles avaient grandi sous le même toit sans que leur éducation respective ne parvienne à instaurer une frontière stricte entre elles. De cinq ans son aînée, Sybille avait par ailleurs eu beaucoup d’influence dans le développement de sa jeune maîtresse.

Magdalena n’était pas tout à fait seule -elle possédait trois frères, mais ces derniers avaient tous déserté le nid : le plus jeune s’était récemment lancé à son compte en ouvrant une galerie d’art à Caroggia, un autre avait épousé une fille de l’aristocratie foncière dans un latifundio de Vellabria tandis que l’aîné s’était composé un équipage pour exporter les agrumes et le thé de la province vellabriaise. La jeune servante restait ce qui se rapprochait le plus d’une sœur pour la benjamine Belluti. Au premier coup d’œil, des yeux étrangers pouvaient même s’y méprendre, car toutes deux arboraient une crinière moirée et charbonneuse, rehaussant un teint ambré, doré au soleil du sud.

« Peu importe l’âge qu’elle a et les robes qu’elle porte, elle sera toujours courtisée pour son héritage » lança Magdalena, considérant par-là même sa propre situation.

La branche à laquelle sa famille appartenait menaçait de se détacher de l’arbre de l’aristocratie. Dans la noblesse comme dans la nature, les ramifications les plus verdoyantes se préoccupaient peu des ramures gâtées par le temps. Au mieux, elles les côtoyaient de leur haute cime ensoleillée. Il aurait fallu investir des générations plus tôt, lorsque le nom Belluti prospérait encore, pour espérer conserver la pérennité de leur héritage à la place des traditions vétustes les ayant menés à la déliquescence.

« Justement Lena. Elle n’a pas besoin de s’empaqueter de soie. Ca m’irait beaucoup mieux, conclue la camériste.

-Envisagerais-tu de dépouiller une vieille dame de ses biens pour pallier quelque injustice ? »

L’aiguille au bout des doigts et un sourire au coin des lèvres, la jeune aristocrate entreprit de raccommoder un jupon de taffetas céruléen. Assise au pied de son fauteuil et éludant la réplique, Sybille inspecta les galons satinés des manches. Il s’agissait d’en replier les bords pour en dissimuler l’usure. A côté d’elle, une boîte ovale laissait jaillir son contenu écumant de tissus et de rubans. Il y avait également des chutes d’étoffes soigneusement pliées, une paire de ciseau d’argent, un assortiment d’aiguilles et d’épingles et une trousse de couture garnie de fils et de pelotes de laine bigarrés.

Avant de lui préférer une place moins précaire derrière les fourneaux Belluti, la mère de Sybille occupait un atelier de couture dans le val, ce qui avait permis aux filles d’acquérir quelques bases sur lesquelles elles s’étaient reposées à leur commencement. Au fil de leur expérience, elles avaient appris à confectionner leurs propres vêtements. Durant son temps libre, Sybille se faisait même quelques sous en rapiéçant des frusques tandis que Magdalena s’habillait elle-même pour les bals et les soirées oligarques. Plus les étoffes étaient belles et délicates, plus le travail pour les manipuler était onéreux. De cette façon, Lena réalisait de belles économies.

« Je pourrais, finit par marmonner la domestique, farfouillant la cantine de rubans d’une main empressée tout en maintenant son ouvrage de l’autre. Mais je préfère la voir habillée avec faste plutôt que… dépouillée et nue. »

La provocation fit redresser la tête de Lena, laquelle jeta un regard furtif vers la porte. Elle connaissait le talent de son amie pour la rapine, et si elles s’en amusaient toutes deux, elle ne tenait pas à ce que quiconque d’autre le découvre. Elle-même n’était pas totalement vierge de petits larcins et de grivèleries passagères. Sybille lui avait appris à manier les crochets –pas de ceux qu’on utilise le derrière enfoncé dans le rembourrage d’un fauteuil cependant. De crainte d’être surprise, Lena s’était cantonnée aux serrures de la maison pour s’exercer. Elle s’en servait, plus jeune, pour combler ses fringales nocturnes en accédant au garde-manger ou encore forcer le journal intime d’Alceo, son plus jeune frère. A l’époque, ce dernier le scellait soigneusement dans un coffret laqué.

« Tu nous rendrais à tous service », convint Magdalena, un sourcil dressé sur son expression mutine, déployant face à elle le drapé délicat du jupon.

Caroggia, quartier des Radieuses, bureau de Demetrio Belluti.



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Ces derniers temps, Père arborait une mine plus préoccupée qu'à l’ordinaire. Il se tenait en partie pour responsable de la ruine du nom Belluti. Lena ne voyait là que la continuité logique d’une dégringolade sociale, à mettre sur le compte des élans conservateurs de leurs précurseurs, mais même cette conviction ne parvenait pas à consoler l’homme. La jeune fille était plus prompte à en vouloir à Mère, laquelle fuyait assidûment les difficultés familiales chez la compagnie de femmes oligarques, comme si l’abondance de leurs richesses pouvait déteindre sur sa propre médiocrité. Tous deux nourrissaient en tout cas les mêmes espoirs vis-vis de leur fille unique : ils souhaitaient la voir trouver un parti lucratif parmi la faune oligarchique. De quoi lui assurer un avenir décent. Aussi la poussaient-ils à assister à la plupart des évènements mondains de la ville, allouant régulièrement des fonds à l’acquisition d’étoffes de bal et de gala, ce qui n’était pas pour arranger l’état des finances de la maison.

« Père ? »

Madgalena toqua à la porte du bureau paternel. Le battant entrouvert filtrait un rayon de jour qu’aucune silhouette ne vint obstruer en dépit des secondes qui s'écoulaient. Le bras chargé de sa nouvelle robe de bal, l'indiscrète se décida à pénétrer dans la pièce. Des particules de poussière y batifolaient librement -mais de Père, nulles traces. Alignées contre les murs, pareilles à d’inaltérables gardiens, les bibliothèques la toisèrent de leurs incompressibles hauteurs. Lena inhala leur odeur d’encre, de papier parcheminé et de bois patiné qui avait embaumé son enfance. En laissant vagabonder son regard sur le désordre chaotique du bureau –fidèle reflet des préoccupations paternelles, elle reconnut le coffret d’Alceo. Serrure verrouillée. Un rapide recours à un ouvre-lettre, et le boîtier laqué s’ouvrit, étanchant sa curiosité, à la fois infantile et inquisitrice. A l’intérieur, une enveloppe unique reposait sur un écrin de velours noir, adressée à un certain Capitaine dont le nom lui parut exotique. Elle contenait une lettre, où elle identifia d’emblée l’écriture de Père. La fureteuse n’eut cependant pas le temps de la parcourir –du bruit émanait du couloir. Dans un élan précipité, Lena referma le coffret, emmaillota le billet dans sa robe et se retira discrètement. Durant sa course, l’enveloppe glissa des replis du jupon sans qu’elle s’en aperçoive.

Le hasard voulu que le billet soit ramassé par Sybille. Puis livré aux autorités compétentes qui n’oublièrent pas de rétribuer grassement la domestique pour service rendu.

Escapade et retour sur Esperia


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Le navire fendait l’onde bleue en direction de Fort Lointain, sans heurts ni secousses, les voiles gonflées par l’iode, le sel et le vent. Les rivages d’Esperia se confondaient au large en un souvenir longiligne, ses récifs écorchant l’horizon de leurs à-pics. Accoudée au bastingage, Magdalena scrutait le ciel. L’empire céruléen, aussi vaste qu’un continent, se jetait dans les flots avec l’élégance d’un albatros. Les pensées charriées sur ses ailes, la jeune fille songeait au plus âgé de ses frères, lui-même embarqué sur les océans tumultueux du Continent. Il exportait l’agrume et le thé vellabriais au gré des vents. Au fond, l’aîné Belluti était moins négociant que marin –qu’aventurier. Lena goûta à ses lèvres relevées d’embruns. Les doigts d’alizé peignant ses cheveux sombres faisaient partie de l’amante que son frère chérissait lorsqu’il prenait la mer. Pour lui, la liberté se distillait dans les embruns du grand large.

Le regard de Lena persista à dériver sur la nappe écumeuse en dépit des appels qui émanaient du pont. La voix mâle et péremptoire du Sieur Antor s’égarait, se délitait dans l’esprit volatil de la jeune femme sans même qu’elle s’en aperçoive. Valérion Antor l’avait contrainte à embarquer sur le bateau de Gwylonna avec lui. L’homme n’avait jamais accepté les fréquentations de la petite couturière, pas plus que ses activités sur Esperia. Mais peut-être s’agissait-il simplement pour elle de ses propres embruns du grand large. Elle trouverait bien autre chose, là où il l’emmenait. L’espérienne jeta une œillade par-dessus l’épaule, couvant d’un œil matois et opaque la silhouette du soldat. La conviction qu’il allait bientôt regretter de l’avoir gardée près de lui ne la quittait pas.

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Il avait fallu tuer le temps durant la traversée. D’abord jusqu’à Fort Lointain, puis jusqu’à Caroggia. Là encore, le choix de leur destination ne lui avait pas incombé. Décidant de remédier au désœuvrement de la traversée, Lena s’était procurée du papier au grain grossier et de l’encre.

La caravelle esclavagiste ne lui inspirait cependant rien d’autre qu’un flétrissement de l’humeur et les mots se faisaient rétifs, bourgeonnant mais refusant d’éclore. Pour les cultiver, eux et son inspiration, la passagère se mua en une ombre indiscrète frayant avec l’intimité de l’équipage. Elle se mit à prendre note de ce dont elle était témoin : les petits larcins, les échanges sous le manteau, les connivences, les secrets dérobés des cales. De mauvais vents les retardèrent en chemin et l’intrigante eut tout le loisir de rassembler ses écrits, dont elle fit bientôt naître des rumeurs anodines, pareilles à des escarbilles timorées, lesquelles ne tardèrent pas à être attisées par la suspicion et l’ombrage des principaux exposés.

Parfois, elle glissait des billets anonymes dans les coursives, sous les portes closes des maîtres ou des quartier-maitres, des caricatures renfermant des dessins maladroits. Elle ne pouvait utiliser les mots sans prendre le risque de se trahir : peu de passagers pouvaient lire et écrire. Du reste, même dans leur déconcertante simplicité, ses ébauches demeuraient explicites : on y reconnaissait des gabiers jouant aux cartes, pariant des denrées préalablement chapardées, ou encore une paire de marins s’enivrant puis urinant dans les barils d’eau potable. Il s’agissait d’entrelacer le vrai et le faux et d’en faire quelque chose d’inextricable.

La traversée ne fut pas de tout repos. Le pont s’animait fréquemment de querelles et d’esbroufes sous l’œil récréatif de Lena. Gwylonna brillait en outre par son absence, concourant au désordre ambiant. Elle s’était retirée dans ses quartiers –malade, probablement atteinte de coliques à en juger les remugles de sa chambre. L’inconséquente s’affairait d’ores et déjà à la représenter atteinte de la petite vérole lorsque l’irruption impromptue du Messire Antor contraria ses intentions. Comprenant les manigances de sa protégée, l’homme mit à cette occasion un terme définitif à ses manœuvres.

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La voyageuse ne reprit pas la plume avant d’être montée à bord de La Vorace, un navire de ravitaillement qui devait leur faire traverser le bras de mer jusqu’à Caroggia. Cette fois, Lena se restreignit prudemment au champ de ses propres pensées.

7 juillet 515.
La mer est calme. Elle m’oppose son flegme et ses facettes miroitantes. Le bleu qui nous cerne ne suffit pas à tempérer mes sentiments qui flambent. Si les vents ne sont pas défavorables, nous accosterons sur les rivages de Caroggia dans moins d’une quinzaine. Je n’ai pas oublié l’injustice ni l’ostracisme dont cette ville nous a frappés, cependant mes lèvres sont cousues et je n’ai rien dit au Messire Antor.

Le matin suivant vit la jeune femme se pencher par-dessus le parapet. Echevelée par les bourrasques du petit jour, elle légua une page griffonnée d’encre aux roulements des vagues. Son geste se répéta le lendemain. Puis chaque jour de traversée qui s’ensuivit.

11 juillet 515.
Je regrette que vous ne m’ayez pas davantage parlé de Lig Ocolide et de vos audacieuses années de négociant. Avez-vous fréquenté des nantis ? Quelles liaisons en avez-vous gardées ? Mère aurait désapprouvé, mais Mère n’a jamais rien fait pour nous sauvegarder.

Une phrase est ajoutée sous le maigre paragraphe, rédigée avec le recul qu’exige la prise de conscience d’une évidence aveugle.

Sachez que votre exemple m’aura enseigné une vérité que Caroggia ignore : la valeur d’un homme ne se mesure pas à sa fortune.

20 juillet 515.
Demain, nous atteindrons le port de Caroggia. L’on me jugera comme on a jugé Père mais je sais qu’aux yeux d’Arbitrio, j’aurais agi justement. C’est la raison pour laquelle le libre-arbitre nous a été accordé. J'en suis convaincue désormais.

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La ville restait la même que dans ses souvenirs : retentissante, grouillante et exhalant l’odeur d’un immense corps en décomposition. Irriguant les ruelles et les allées, d’innombrables caroggians vaquaient à leurs occupations. Les pavés suintaient l’humidité tandis que les venelles colportaient détritus et insalubrité. L’haleine de la cité, miasmatique et suffocante, oppressa les nouveaux arrivants comme dans un étau. Une seconde durant, Magdalena fut prise de vertiges, sa silhouette luttant contre l’afflux ininterrompu de la foule. Son regard chercha de quoi s’ancrer, et l’espace d’un battement de cœur, elle crut retrouver la vision d’un échafaud baigné de lumière aveuglante.

« Lena ! »

Le timbre familièrement tonnant la fit ciller. Il émanait de la large carrure du soldat qui patientait –inaltérable et sûre au sein de la masse fourmillante. L’interpelée se fraya un chemin jusqu’à l’homme puis s’évertua à rester à sa hauteur, les longues enjambées mâles menaçant sans cesse de la distancer.

La nuit était déjà hégémonique lorsque les voyageurs trouvèrent une auberge bon marché dans le Quartier salé, bondée de marins. Ils écopèrent d’une chambre sous les combles. Lena ignorait toujours tout des motivations de Valérion, mais ce n’était plus une préoccupation pour elle.

La pièce chichement aménagée ne comportait qu’un broc d’eau froide et un lit étroit. Dans l’état de fatigue dans lequel se trouvait la voyageuse, n’importe quoi aurait pu faire l’affaire. Elle s’assoupit dans l’étreinte du guerrier. Ce dernier eut, ce soir là, tout le loisir de contempler sa nuque brodée de mèches folles, ses frêles épaules voûtées vers la chaleur de son torse et la ligne délicate de son échine ravagée par le fouet.



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La ville frissonnait, harcelée par les vents du Nord. Cà et là, des plaques de neige rassemblaient leur coutellerie flamboyante sous le jour blafard. Engoncée dans une étole rouge, Lena tachait le paysage. Son regard happé comme un papillon par la lumière guettait les silhouettes d’une vitrine. Des ombres sans faciès, et pourtant, l’une d’elles retenait la spectatrice au-dehors. Sybille, reconnaissable entre toutes, portait la trace des privilèges récemment acquis. Une chandelle de suif vacillait sur le comptoir – frêle ballerine parfumée à l’orange. C’était la fragrance qu’elles préféraient à l’époque où elles habitaient sous le même toit.

La porte de l’échoppe s’ouvrit dans un tintement discret. De jeunes dames biens mises quittèrent le commerce, sans un regard pour l’ancienne Belluti. Elles rentraient retrouver leur foyer comme le jour ne tarderait pas à décliner. Le sieur Valérion pour sa part devait probablement s’impatienter.

Sybille avait autrefois dénoncé le père de la Caroggiane, lequel traitait à l’époque avec un nanti Ocolide sous le couvert de missives confidentielles. C’était un secret bien gardé, qui avait néanmoins fini par éclater au grand jour : le patriarche Belluti négociait les itinéraires de bateaux caroggians contre une partie de la valeur des marchandises transportées à bord. Le scandale avait fait grand bruit. Lena comprenait ce qui avait poussé Père à renoncer à l'éthique. Il s’agissait de la plus noble des raisons, car il refusait de voir sa famille être consumée par la ville –amorale elle-même. Les relations, les apparences, la réputation, ces vastes et grotesque représentations oligarchiques menaçaient de les broyer. Ils étaient ruinés. Pourtant la place de Sybille et de sa mère en tant que servantes au sein de leur résidence n’avait jamais été remise en question. Et voilà qu’aujourd’hui, la maudite s’était établie dans le plus important quartier du Cerchio, à la tête de sa propre boutique de couture. A n’en pas douter, ses révélations au sujet de la famille Belluti avaient été grassement rétribuées.

Lena contempla Sybille qui s’affaira un moment avant de souffler la chandelle du comptoir. Elle la vit verrouiller l’échoppe puis rejoindre l’étage, où sa chambre l’attendait. Dans ce monde hermétique, Sybille ignorait encore qu’elle avait une créancière, là-dehors.

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Le tenancier avait vociféré des imprécations à la vue de Lena, accompagnant l’ascension de cette dernière jusqu’à la chambre des combles. Il entendait bien toucher l’argent qui lui était dû. Le duo n’avait pas les poches cousues –seulement taries. La vie à Caroggia coûtait cher. Magdalena referma le battant de la mansarde derrière elle. Elle fut cueillie par un tressaillement, induit par le froid de la petite pièce peuplée d’absence. Messire Antor était parti. Il n’avait pourtant plus un sou en poche pour se saouler. Peut-être était-il allé quérir une compagnie plus chaleureuse que la sienne ?

L’apatride assoupie avait légué son corps aux draps froissés lorsqu’une main rude secoua son épaule. L’aube pointait au-dehors, perçant la pièce de flèches de bronze constellées de poussière. L’une d’elles atteignit les prunelles de l’ensommeillée, y rehaussant un éclat sombre et mauve, pareil à une ecchymose émaillée d’étincelles.

« Où étais-tu ? »

La réprobation perçait dans la voix de Valérion. Elle n’était pas acérée –plutôt sourde et grondante. L’indolence du réveil fit marquer un temps de pause à Lena. Se redressant sur un coude, elle peigna mollement sa tignasse en arrière. Son regard embrassa ensuite celui de l’homme. Le blâme qu’elle y déchiffra égratigna d’emblée son humeur.

« Nous ne sommes pas dans la Légion. Je ne suis pas un soldat. Vous n’êtes pas mon supérieur. Et je n’ai pas à me soumettre à vos ordres. »

Comme la colère de son interlocuteur enfla d’un coup, la jeune femme tempéra sa rebuffade et décida d’adopter une attitude plus conciliante, reprenant d’un ton apprivoisé :

« J’étais à la recherche d’une solution. Je l’ai peut-être trouvée. »

A ces mots, Valérion brida la démangeaison de la provocation et s’assit près d’elle. Une main calleuse se logea toutefois contre la nuque de l’impudente, sous la tiède chevelure en bataille. Il l’écoutait, faisant peser sur elle le poids d’une menace latente, laquelle l’incita à s’exprimer dans l’instant :

« Il y a une échoppe de couture en ville, du côté de la Puerta del terra, modeste mais prospère. J’y ai aperçu de nombreux clients. L’arrivée de la Nivôse multiplie les commandes. La propriétaire semblait assez aisée, sans être opulente. Elle vit à l’étage de son commerce, seule. Je l’ai vue ranger l’argent dans une cantine derrière le comptoir. C’est une rue commerciale, peu passante de nuit et la porte comme la serrure m’ont paru ordinaires. Peu de risques pour un butin alléchant. »

L’étau des doigts mâles se fit plus sévère et Magdalena grinça des dents, un instant déroutée.

« La nuit tombe tôt et le froid incite les badauds à déserter les ruelles, articula-t-elle en grognant. Si c’est votre bonne conscience qui vous fait malmener ma proposition de la sorte, donnez-moi l’occasion de vous offrir de quoi l’enivrer jusqu’à plus soif. Nous n’aurons plus de soucis d’argent après cela. »

Curieusement, le sarcasme la délivra de l’emprise du soldat qui se redressa légèrement pour la contempler d’un œil taciturne. Mais cette fois, Lena y décela l’ombre de la connivence.

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Alors on en était là. Le fil de la lame apposé contre la gorge palpitante, le métal froid et mort opprimant les pulsations gorgées de sève. Sans qu’elle sache dire pourquoi, l’image de cimes enneigées s’imposa. Des cimes vertigineuses, glacées et infranchissables. Il ne tenait qu’à Lena de réclamer le tribut de sa vindicte. Elle pensait que la soif de justice guiderait sa main comme elle avait jusque là guidé ses pas. Pourtant le poignard lestait sa main moite, la rendant preste inerte. Tout son corps vibrait. Et s’il existait une autre solution ?

«  Lena…» chevrota Sybille.

L’ancienne servante des Belluti, agenouillée, les poignets liés dans le dos, avait ses joues ravinées de larmes. La scène possédait l’allure d’un tableau de peintre romantique. On aurait dit une pucelle –l’innocence abusée par le sort. Lena surplombait la misérable inclinée, pourvue d’une humeur bâtarde, mâtinée d’aversion et d’hésitation. Le sieur Antor ne l’avait pas prévenue : à quel point le poignard appesantirait sa main vierge. Le sieur Antor, après tout, ne savait rien. Il était allé de l’avant, le butin sur l’épaule, persuadé d’avoir la jeune femme sur les talons. Plutôt que de marcher dans les pas de son acolyte, l’insidieuse avait débusqué sa proie à l’étage, avide mais patiente, plus que jamais désireuse de sentir l’objet de sa rancune sous son talon.

« Sybille. » articula Magdalena d’une inflexion fourbue.

Pourquoi faire traîner en longueur ? Car le temps rongeait son aplomb. Elle le devinait se corrompre, frêle, à la merci du fauve de la culpabilité. Pourtant, n’était-elle pas dans son plein droit ?

« Je… Je ne savais pas que le Sieur Belluti serait pendu ! » hoqueta la captive.

A ces mots, les doigts armés se délièrent. Lena fourra le poignard dans le fourreau improvisé de sa ceinture, puis, de sa main libre et douce, cueillit le menton de son amie, faisant basculer sa tête en arrière. Elle contempla, comme on contemple un paysage de son enfance, la figure de Sybille.

« Je ne le savais pas non plus. »

C’était un chuchotement, dans l’intimité du moment, comme lorsque les presque deux sœurs se retrouvaient la nuit pour piller le garde-manger du manoir. Avec tendresse, la jeune affranchie fit courir la pulpe de son pouce contre les lèvres humectées de larmes.

« Tu as changé ma vie, Sybille. »

Il n’y avait plus d’hésitation. Pas même une vibration dans sa voix. Mais son sang lui palpitait à l’unisson avec celui de la petite couturière. Délicatement, Magdalena s’incurva sur sa captive et baisa ses lèvres salées.

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La nuit avait vu surgir une langue de feu, vorace et déchaînée, de la fenêtre d’une échoppe de la Puerta del terra. Le manteau blanc de Nivôse s’était nervuré de reflets rougeoyants, tandis que le crépitement fiévreux avait rugi aux colombages, ameutant le quartier. Une silhouette s’était extirpée de l’incendie, une femme à la nuque brodée de mèches folles -la responsable, selon les autorités présentes, alors pressées devant le spectacle du brasier. Ce n’était pas la petite couturière, mais une étrangère, dont l’échine labourée laissait suspecter la crapuleuse extraction, et pour une raison obscure, elle avait lâché un charognard au pelage flamboyant sur les fondations du quartier.


La potence l’attendait.