Utilisateur:Anne

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Vous consultez la fiche d'un personnage décédé.

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Informations RP
Genre
Femme
Année de naissance
500
Rang


Famille






Métier
Métier
Compléments


Sculpture sur bois





Origines
Ville d'origine
Région d'origine
Nation d'origine
Informations HRP
Login Minecraft
Sylnor
Pseudo
Sylnor
Discord
Sylnor#1311
Âge IRL
19






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Description

Sous de longues boucles d’un blond rendu terne par la crasse et le manque d’entretien s’étend un corps filandreux ; non qu’il soit si long avec son mètre soixante, mais la dénutrition a privé de chair la jeûne femme. Le poids oscillant entre quarante-deux et quarante-cinq kilogrammes, au rythme des repas sautés et des nuitées abrégées, la capitalarde menace de s’envoler à la première tempête.
Ses jambes longues sont fines comme des brindilles ; au-dessus, un buste maigre laisse apercevoir des côtes rondes. Seuls les bras de Anne sont plus fournis, moins squelettiques - et encore. Longs, ils se terminent par une paire de mains calleuses et abîmées par des années de travaux manuels.
C’est en haut de ce peu glorieux tableau qu’une frimousse ovale, encadrée de cheveux filasses, porte une paire d’yeux bruns tombants surmontés de sourcils arqués vers le bas qui lui donnent l’air constamment implorant d’un chien battu. Sur son visage, ossature et méplats sont accusés par les privations ; les pommettes émaciées ressortent en surplomb des joues creusées, et un front étroit domine le faciès maigre de l’indigente.

AnémoneBl.png

Thème du personnage

A voir...


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Identité

* ~ * ~ *

Nom, surnoms : Anémone "Anne", "Ann'"

~

Âge : Vingt-et-un ans

~

Taille : Un mètre soixante

~

Poids : Entre quarante-deux et quarante-cinq kilogrammes

~

Religion : Culte Arbitré de rite Monachiste avec influences du Kaitusianisme

~

Langue parlée : Capitalin

* ~ * ~ *
Rat des villes...
Crédits à Gauchiste pour le dessin !

Rat des villes

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Çanémone.png

Toujours à traîner où il ne faut pas traîner, se faufiler où il ne faut pas se faufiler et se taire plutôt que parler, la chaîneuse tente sans grand succès de courir entre les ennuis. Facilement trouvable si elle vous aime bien, vous évitera si ce n'est pas le cas : un pure produit du cad, de la peur et des entraves.

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Choix

Artisan du bois

Ébéniste

Métier

Cuisine

Cuisinière

Complément I

Sculpture

Sculpteuse sur bois

Art

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Sur le Continent

Entourage

Pour aider votre lecture, les noms seront en gras dans la chronologie la première fois qu’ils seront mentionnés, afin de découvrir les personnages au fur et à mesure !


  • Passage, la mère de Candice, est une vieille prostituée aonite. Elle a une trentaine bien tassée à la naissance de sa première fille, Bérénice ; elle atteint la quarantaine lorsque la suivante - Jeannice - naît, accompagnée d’un jumeau mort-né. Jeannice ne passe malheureusement pas la nivôse. Sa dernière grossesse, celle de Candice, a lieu quarante-six ans après sa propre naissance à Franc-Port. Après trois filles mises au monde, son corps n’a plus grand chose d’attirant, et son visage marbré par l’alcoolisme et creusé par l’opium n’aident pas à la pérennité de son métier.


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  • Aurore est la voisine de Passage et ses trois filles, vivant dans le même islet mal isolé, seule. Elle tient une boutique d'apothicaire et propose divers services de soin dans le cad. Connue pour sa générosité et respectée pour son savoir, elle n’a pas vraiment d’ennemis ; elle meurt en 503 pour avoir goûté l’une de ses mixtures maison.


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  • Bérénice est la sœur aînée de Candice. Elle lui tient beaucoup compagnie dans son enfance, notamment entre la mort d’Aurore et sa propre disparition - qu’elle ne regrettera d’ailleurs jamais. Elle n’était pas attachée à Passage qui sans cesse lui demandait plus de l’argent qu’elle gagnait à la sueur de son front, ni à sa petite soeur incapable de parler correctement.


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  • Beaucoup d’enfants ont un ami imaginaire, mais peu sont aussi délicieux que Groseille. Il écoute avec tant de calme et d’attention que les bégaiements de notre jeune capitaline s’évanouissent pour laisser la place à une discussion inventée. Il commence à s’éclipser pour laisser la place à de vrais camarades alors que la jeune fille vit au Monastère.


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  • Aave le Doux, moine boguenaud rêveur qui s’improvise souvent poète. Il officie au monastère Apothi-Aymeric depuis longtemps ; il se plaît à aller dans les marchés car, dit-il, les bains de foule l’inspirent. Très porté sur le kaitusianisme, il s’occupe à créer, bénir et distribuer moult gri-gris et charmes efficaces contre le mauvais sort.


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  • Paupie la Roide donne l’impression de ces statues de marbre inflexibles et c’est une aura qu’elle entretient ; très dure dans ses mots et jugements, elle attend l’excellence et paraît la rendre. Mais elle est surtout membre de la Bande d’Oncle Jori ; elle assure, de son autorité de religieuse, l’impunité des autres membres et la pérennité des affaires de chacun - tout en faisant, au passage, fructifier les siennes.


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  • Tablo est un garnement au tempérament doux. Sa voix forte l’impose en chef de bande, et il prend rapidement Anne sous son aile. Il aime écouter les histoires auxquelles il n’a jamais eu accès, et ce qu’importe la longueur traînante qu’elles prennent à cause des bégaiements de la petite ; il rêve de s’élever et apprend les lettres avec elle, se voyant chaque jour plus proche de son objectif.


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  • Baptiste est un homme calme et réservé. Il est un charpentier de marine travailleur et un perfectionniste invétéré ; force tranquille, jamais un mot plus haut que l’autre, il se prend d’affection pour la jeune chaîneuse qu’il a sauvé des foules furibondes des émeutes. Sa compagnie lui convient tout à fait : elle ne parle que peu et ça lui va.


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  • Aleksandra, défunte femme de Anne, potière adaarionne de Golvandaar ; une femme très simple et à la tempérance exemplaire. Elle a toujours désapprouvé les activités de la capitaline, non pour leur nature mais pour l’insécurité qu’ils apportent - et elle a eu bien raison.

Chronologie

500

Passage

Le soir du deux janvier, au sein d’un petit islet mal isolé au cœur du cad, une nouvelle vie perça la crasse de la Capitale : celle de ma troisième fille. Toute l’aide et les remèdes d’Aurore ne suffisaient pas à calmer mes cris incessants. L’accouchement n’était pas mon premier et, pourtant, jamais je ne me serais attendue à la douleur qui me déchirait les entrailles.
“C’n’est pourtant qu’un gosse, merde !” me répétais-je en boucle. La phrase flottait dans la brume douloureuse de mon esprit engourdi par le calvaire de la mise au monde.

Aurore m’avait offert un pied de basilic de sa boutique : j’en fis une plante de naissance et elle accueillit mon sang.
C’était un bien beau basilic aux feuilles charnues, brillantes, qui finit par agrémenter quelques salades trop fades ; Bérénice et moi fûmes ravies de cet agrément.

Mais l’accouchement me laissait avec un nouveau problème, qui se déposait sur la pile de ceux que j’avais déjà : après trois grossesses, mon corps ne ressemblait plus à grand-chose ; les clients se raréfiaient et je risquais de difficilement pouvoir subvenir aux besoins de deux enfants en plus des miens. Je devais encore quelques royes à Robert pour son opium, et nourrir trois personnes devint un défi de chaque jour. Je me privais beaucoup puis, finalement, laissant mes filles à Aurore, je devins lavandière, récurant les froques sales des Dix Mille Rues entre deux clients.

Candice était un bébé calme, très calme, c’en était presque alarmant. Ni Bérénice ni Jeannice ne m’avaient offert pareille quiétude dans leurs premiers mois. La cadette pleurait peu ; et souvent, alors qu’elle tentait visiblement de s’époumoner, aucun son ne sortait de sa bouche enfantine. Sa voix revenait chaque fois en quelques heures, mais dans ce laps de temps, elle paniquait, et personne n’était là pour l’entendre.

501

Aurore

Candice grandissait. Jour après jour, semaine après semaine, nourrisson devenait bébé, bébé devenait bambin. Son onzième mois fut marqué de ses premiers pas assurés, et son douzième d’une salade de basilic qui manquait cruellement de boutons d’or.

Si elle était en bonne santé générale, c’est sa parole qui m’inquiétait. En plus de ses aphonies régulières, elle ne savait prononcer aucun mot, même les plus simples ; les seuls sons qui sortaient de sa bouche étaient les quelques gazouillis sans vraiment de sens que chaque bébé peut laisser s’échapper. Contrairement aux bambins de son âge, jamais elle ne tentait de répéter ce qu’elle entendait ; souvent même, elle n’écoutait pas, ou ne comprenait pas, quand je lui parlais.

Un autre comportement inhabituel était son obsession pour les sons réguliers.
Lorsque retentissaient cloches, marteaux ou cris de mouettes, rien ne la troublait plus : elle était obnubilée par les bruits et son attrait obstruait tout autour d’elle. Elle pouvait passer une heure à écouter une scie aller et venir à la fenêtre, sans se troubler des hurlements capricieux de sa sœur ou du repas que l’on servait.

502

Passage

Non contente d’avoir été le fruit pourri qui m’empêcha d’exercer le métier qui était mien, Candice était limitée.
A deux ans, elle ne répétait toujours pas les sons entendus, et même Aurore ne savait plus quoi faire. Les rares mots qu’elle prononçait venaient seuls, elle était incapable d’en associer deux, même les plus simples. Mais si ce n’était que ça ! Elle bégayait à la moindre parole quand sa foutue voix ne cessait pas simplement de fonctionner pendant des heures ou des jours. Elle comprenait, pourtant, ce qu’on lui disait, puisqu’elle communiquait beaucoup par gestes tout à fait intelligibles.

“M-m-m- man- ma -m…”
“Mais ferme ta gueule !”
Ma voix claquait, sèche, dans le silence de la pièce étriquée. L’agacement qui montait en moi surpassait même le désespoir d’avoir engendré une débile. Mon ordre traînant était le seul qu’elle comprenait parfaitement ; souvent, elle saisissait de travers les paroles qui lui étaient destinées, et moi, j’étais fatiguée.

503

Passage

Je m’éveillais en milieu d’après-midi. L’opium de Robert s’exhalait toujours dans mon souffle ensommeillé. Encore un peu, juste un temps de repos, de calme, loin des filles. Bérénice ne posait pas tant de problèmes, en réalité, sinon qu’elle ne travaillait pas assez dur, mais Candice, elle…
Elle avait rattrapé son retard de langage. Sa compréhension des mots s’affinait, elle retenait plus de vocabulaire ; lorsque les aphonies ne la réduisaient pas au silence, c’était à moi de le faire. Le “Ferme ta gueule” marchait toujours aussi bien. Clair, net, précis. Parfait.
La volubilité n’était pas ce qui caractérisait la petite, ceci dit. Elle était heureusement avare des mots qu’elle mâchait et abimait à tout instant.

Depuis la mort d’Aurore, je devais m’occuper des filles chaque jour de ma vie, même percluse de courbatures d’avoir trop frotté les taches, même épuisée d’avoir travaillé tout le jour durant, même affamé d’avoir jeûné pour leur permettre de manger.
Je travaillais toujours plus, mais, je fumais toujours plus aussi ; l’opium coûtait cher et la nourriture également. J’avais faim.

504

Candice

Mère travaillait beaucoup. Bérénice aussi ; elle qui veillait sur moi et partageait mes jeux s’en allait à présent de plus en plus souvent récurer les draps avec notre maternelle. Sans Aurore non plus, je me trouvais seule, et cette solitude étalait son ombre sur ma vie fade et lente.
Les jours auraient continué à se ressembler et m’entraîner dans leur monotonie si Groseille n’était pas apparu.

J’ai toujours aimé les groseilles, même si nous en avions peu ; Aurore nous en offrait parfois, quelques fruits au jus qui tache et salit, un plaisir délicieux. Un jour, Mère m’avait rabrouée de son éternel “Ferme ta gueule, Candice”, suivi d’une claque : je comprenais, cela faisait deux minutes que je tentais sans succès de lui exprimer mon envie de sortir. Je savais que ça la lassait, mais j’étais triste. Alors Aurore m’avait offert des groseilles, et leur dégustation avait calmé ma joue enflammée.

Groseille n’était pas que le nom d’un fruit, mais aussi celui de l’ami de mes jours solitaires. Avec lui, je dialoguais librement et ne buttais pas sur les mots ; il me suivait où que j’aille, étoffe rugueuse ramenée par Mère, vieux mouchoir incarné en compagnon d’infortune.
Avec lui, nul besoin de partager repas ou paillasse, nulle crainte de trébucher sur les syllabes ou de tomber sur un mot filou : à lui, je parlais, je murmurais, et ne bégayais pas.
Peut-être que mes phrases n’avaient pas toujours de sens, mais comment en demander plus à une gamine de quatre ans ?

505

Passage

Le début d’année fut marqué d’une nouvelle agréable : je fus engagée comme falotière pour le compte des Rouges, au Labyrinthe. Je dormais tout le jour et, la nuit, j’allais entretenir les lanternes qui étendaient leur lumière sur les quais mal famés et les venelles sombres qui serpentaient entre les islets.

A la maison, je créais les bougies dont j’avais besoin, je ramenais les lanternes brisées le temps de les faire réparer. Si Bérénice s’affairait toujours comme lavandière, ou sortait dans les rues avec les autres ratons de la Capitale, Anne, elle, était fascinée par mes chandelles. Chaque bougie allumée, chaque lanterne ravivée, chaque flamme animée étaient pour elle le plus beau des trésors, et elle restait parfois des heures à regarder la cire dégouliner et la mèche se consumer, mutique.
Combien de fois était-il arrivé à cette idiote de se brûler ? Je ne les comptais même plus ; elle avait mal, pleurait avec ou sans bruit, et à peine sa brûlure cicatrisée, elle recommençait.

Malgré tout, la petite restait mon enfant. Je dû bien la prendre en main, elle en avait besoin ; qu’elle comprenne ou non - mais elle comprenait, je crois.
Je lui enseignais le phalangisme pendant que mes bougies reposaient. Le récit de l’Orior, elle l’a entendu mille fois ; les corpus des scripturas, mille de plus. Je lui contais des histoires, des récits, et finalement, je crois que c’était la première fois que j’avais toute son attention d’enfant, et que j’y prenais plaisir.
Mais parfois, Candice gâchait tout. Elle tentait de réciter l’un des saints textes, ou une simple légende contée, et ses erreurs, le temps qu’elle passait à trouver chacun de ses mots, me ramenaient à la réalité : j’avais enfanté d’une imbécile. Alors je pleurais, elle se taisait, et je finissais mon travail en silence tandis qu’elle allait jouer avec son doudou Groseille.

Mais dès la fin d’année, cette période de quiétude s’évapora. Notre ciel si bleu se voila des nuages sombres de la faim et du manque lorsque l’on me renvoya sans raison de mon travail falotier ; alors je recommençai à frotter les fripes d’inconnus, attrapant les clients comme je pouvais dans la rue.

506

Candice

L’année de mes six ans commença en beauté avec le départ de ma sœur Bérénice. Enfin, elle avait trouvé le travail de ses rêves ; elle se fit domestique dans une famille de patriciens relativement aisée à la Colline des Avocats.
Si dans les premières semaines elle revenait souvent nous voir, très vite, devant l’insistance de Mère pour qu’elle nous cède une part non négligeable de sa maigre paie, ma sœur ne vit plus l’intérêt de garder contact avec nous. Mère pleura beaucoup, les premiers jours. Moi, je pleurai moins, mais mon chagrin s’étalait sur des semaines après son départ. Chaque fois que l’on frappait, je m’attendais à revoir ma grande sœur qui me ramenait une poignée de fruits ou quelques royes cuivrées, mais non, rien.
Je m’étais tellement fantasmé Bérénice ! Elle m’avait conté, chaque fois, les tâches qu’elle effectuait tous les jours pour les Maîtres de Maison ; avec quel soin la vaisselle était choisie, les différentes fourchettes et couteaux, et tout cela avec une verve qui m’avait emportée à sa suite.

Mais elle ne venait plus, et alors, il ne restait que Mère, Groseille - et moi - dans le petit islet mal isolé.
Je commençais à sortir un peu, cette année-là, plus que simplement dans la rue d’en bas. J’aventurais mes pas intrépides vers toutes les directions du quartier, et bientôt, le cad n’eut plus de secret pour moi - sauf ceux que les enfants n’ont pas à connaître.
De temps à autre, je voyais des gamins des rues, seuls ou en groupes, et durant mes escapades, soit ils m’ignoraient, soit ils me raillaient. On m’a dit, plus tard, que les enfants acceptent volontiers ce qui sort de l'ordinaire qu’ils admettent leur curiosité au lieu de dédaigner l'objet qui l'excite ; moi, je pense que pour les enfants ou les adultes, l’inconnu est une peur qui a raison.
J’étais plus petite que la majorité des enfants de mon âge. Le vieux Henri me le disait souvent, en me ramenant chez moi lorsque mes escapades m’avaient perdue dans le quartier ; la faim avait creusé ce fossé de centimètres, et ce retard-là, je ne le rattrapais pas.

507

Candice

Encore une année qui débute par un abandon. Je me levais un matin et trouvai Mère, amorphe, à demi sur la table ; l’air puait l’opium et sa pipe avait dégringolé au sol jusqu’à se casser.
“M-m-ma-mam-maman ?”, parvins-je à appeler, la voix encore enrouée par le sommeil.
Mais elle ne répondit pas.
Ma gorge se serra : c’est la peur qui y apposa un nœud coulant, prête à m’étrangler. Je sortis. Mon pas mal assuré me guida au vieux Henri du coin de la rue, que je tirai jusqu’à la maison, au travers de la brume matinale de la fin de nivôse.

Mère était morte, emportée par l’opium de sa pipe. Sed quid est hoc Arbitrio.

Je fus confiée à l’Ordonnance, qui s’empressa de me refourguer à quelques moines ; comme mon mutisme les empêchait de connaître ma foi, ils m’envoyèrent par défaut au monastère Apothi-Aymeric du quartier des Thermes. Sans doute m’avaient-ils jugée trop sale pour une phalangiste. Mais peu importait, sur le coup : j’étais jeune, ma foi flexible et surtout, trop contente de profiter d’un lit, de repas chaque jour et de compagnie pour me plaindre.

Deux moines, en particulier, s’occupaient de moi et de mon éducation. Aave l’Adaarion et Paupie, juste Paupie. J’appris l’écriture, ou quelques bases, et le monachisme. J’appris la Synty que je connaissais sur le bout des doigts, j’appris les rites dont je n’avais jamais entendu parler, j’appris à déchiffrer et former les lettres, j’appris la discipline et la méditation.

Aave l’Adaarion, Aave le rêveur, Aave le poète, Aave le Doux : doux, il l’était, et chaleureux, et patient, et sage. Mes tares ne l’effrayaient pas. Plutôt que de me fuir ou me reléguer à une présence enquiquinante, il m’offrit son temps et son aide, me confectionna divers gri-gris et talismans, m’enseigna toutes les techniques qu’il connaissait pour briser une malédiction, et finit par se résoudre à me laisser handicapée. “Tu es la création d’Arbitrio ; s’il t’a faite ainsi, tu devais être ainsi. Son coeur bat en toi, Son coeur est toi.”

Paupie la roide, elle, avait des mots durs et une volonté de fer. Sa faconde impressionnante réduisait au silence à peu près tous les moines. Mais moi, elle me prit sous son aile. Mon mutisme la mettait en confiance et la valorisait. Elle avait la réputation d’être inflexible et dure sur la notion d’arbitrage ; mais moi, je vis son Secret, et jamais je n’en parlais. Elle m’envoyait régulièrement pour quelques courses dans le quartier : livrer un petit sachet par ici, distraire un honnête marchand par là.

Pas une fois, cette année-là, je ne parlais ; on m’accorda le surnom d’Anémone, symbole d’abandon, de maladie et de candeur, que je conservais toujours par la suite, quoique souvent raccourci à un plus sobre Anne.

508

Anémone

J’avais huit ans et beaucoup de temps libre. Si mes matinées étaient destinées à la prière et aux leçons collectives, mes après-midis comptaient trop d’heures, et toutes passaient trop lentement. Après avoir exploré chaque ruelle du quartier des Thermes, je poussais mes pas vers le sud-ouest jusqu’à celui des islets, où s’amoncelaient des tas d’habitations comme celle où j’avais passé mon enfance.
Là-bas, rapidement, je m’intégrais à une bande de garnements ; Groseille m’accompagnait, toujours dans ma poche, et chaque jour sa présence me rassurait. Nous nous amusions à lancer des graviers sur des vitres ou des passants et fuir à toute vitesse, grisés par l’adrénaline ; une volée de moineaux qui se dissipait à la moindre approche adulte.
L’un des autres enfants, Tablo, un fils d’immigrés caroggians à l’accent à couper au couteau, était toujours le plus prévenant ; là où mes petites jambes avaient du mal à suivre, il m’attendait et astreignait les autres à faire de même. Les jours pluvieux, nous allions souvent nous réfugier dans les combles d’un vieil islet vide au parquet abîmé par les ans ; alors nous discutions. A eux, je parlais bien plus souvent, et plus aisément, qu’aux moines à qui j’avais seulement commencé à m’adresser par quelques phrases hésitantes. Je butais peu sur les mots devant Tablo et son soutien tacite, et je récitais mes leçons aux enfants. Si certains se moquaient, d’autres étaient bien contents de récolter un peu de savoir ; je contai l’histoire d’Allistère et la Sintie, j’écrivais dans la poussière les lettres et les chiffres. Je me sentais valorisée par le silence et l’attention avec lesquels ils m’écoutaient.

Au monastère, je travaillais mes leçons avec plus d’assiduité que jamais, pressée de voir briller les yeux de Tablo devant les nouvelles connaissances. Ma langue se déliait peu à peu ; lorsque je ne souffrais pas d’aphonie ou de bégaiement, j’étais plutôt volubile - ce n’était donc pas souvent, mais ça arrivait. Je pense que j’aurai dû profiter du bonheur simple de ces jours plus que je ne l’ai fait alors.

509

Anémone

Le jour était éclatant. Entre les pignons et les hauts faîtages, le ciel d’un azur infini illuminait les rues larges et projetait l’ombre des bâtissements dans les venelles plus étroites.
Aave m’avait laissée sortir tôt des leçons, et je gambadais déjà en ville, ayant pour seule angoisse celle d’avoir oublié Groseille - ou, du moins, le vieux mouchoir délavé qui le représentait - dans ma cellule.
Bien vite, je retrouvai Tablo et le reste du petit groupe que nous formions, et notre aventure du jour commença. Manon nous avait donné pour objectif de faire parcourir au premier marchand venu un itinéraire plein de surprises. Divers garnements se placèrent dans les ruelles convenues, armés de seaux de compost ou de pots de chambre pleins, et j’allai avec mon ami attirer un vendeur en chipant le premier article venu sur son étal.
Une ruelle, puis deux, trois, je courais à en perdre haleine ; Tablo était plusieurs mètres devant et j’étais incapable de lui dire de m’attendre. Hilare, je n’arrêtai ma course que lorsque j’eus senti un bras se refermer sur le mien. Je me retournais vers un visage grimaçant de colère et de dégoût, rougi par l’affront et à demi couvert d’immondices.

Je subis mon premier passage à tabac. L’homme que nous avions asticoté était un adaarion de la bande d’Oncle Jori, et deux de ses comparses s’étaient vite joints à la partie. J’en sortis la tête pleine de menaces et deux côtes cassées tandis que sur mon œil gonflait une ecchymose violacée.
Je fus incapable de parler les jours qui suivirent, et quand enfin je le pus, ce fut à Paupie que je me confiais. Son regard se plissa et quelques jours après, l’homme que j’avais agressé vint à mon chevet et posa un baiser sur mon front avant de repartir sous le regard dur de la moniale de fer.

A partir de là, je fis partie de la bande d’Oncle Jori et, pour eux, je m’échinais à faire ce que j’avais toujours fait pour Paupie seule : des courses diverses, laisser traîner mes oreilles, distraire gardes ou marchands...

510

Anémone

Les mois passaient et ma vie se déroulait sous mes yeux. Je n’avais plus revu Tablo et les autres depuis l’accident, et je n’en avais pas vraiment l’envie ; j’avais senti comme un vide au début, bien vite effacé par la fierté de me sentir utile aux grands.
Parfois, je brisais mon ennui par un petit larcin, et je m’amusais à courir de venelles en ribines, zigzagant entre les hautes maisons du quartier des thermes. Je me faisais attraper presque chaque semaine et me voyais punie plus sévèrement à chaque récidive, mais je riais bien ! Aave me faisait la morale, tout en vers et en rimes, avec son vocabulaire guindé dont je ne saisissais pas la moitié des mots ; Paupie, elle, me réprimandait plus de me faire prendre que d’agir ainsi.

Puis un jour, ce fut la joaillerie qui attira mon attention. Une belle broche en or représentait une femme si finement sculptée que le métal semblait prendre vie sur ses traits jeunes ; le soleil reflétait ses rayons au travers de la vitrine, et ils rebondissaient partout autour du bijou.
Ce vol-là était de trop, et il me valut mes premières chaînes et le regard peiné des moines qui avaient ma charge - le dernier que je vis d’eux.

Je fus vendue à un fleuriste débordé, un jeune hura du nom de Siegfried. Je n’avais aucune connaissance en fleurs, mais j’observais et j’apprenais - pas assez vite à son goût. Mon incapacité à m’exprimer était aussi sujet à fâcherie ; il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de ses clients, et tout ce que j’étais capable de faire était d’arroser quelques fleurs ou composer des vitrines ma foi fort agréables à l'œil.

511

Anémone

Siegfried était un homme étrange avec lequel j’avais beaucoup de mal à déterminer comment me comporter. Tantôt doux et patient, tantôt colérique et sec, il m’était difficile de savoir sur quel pied danser, et même après des mois à son service, je n’arrivais pas à le cerner. Parfois il buvait, et il avait l’alcool violent ; les bleus s’amoncellaient sur mon corps mince, recevant sa frustration de mon mutisme. Je n’en avais pas conscience, mais j’avais de la chance : j’étais logée au chaud et nourrie chaque jour, et vêtue convenablement ; on m’avait même laissé garder Groseille qui aux yeux de tous n’était qu’un vieux mouchoir sale, mais qui, aux miens, représentait le plus vieux et le plus beau de mes souvenirs.

En fin thermidor, alors que la belle saison des fleurs commençait à passer, le fleuriste me revendit pour une bouchée de pain à une famille de patriciens de Belle-Colline, les Rocher-Joli. Comme Bérénice avant moi, je devenais domestique improvisée. L’intendant de maison, un hura dont je n’ai jamais réussi à retenir le nom, me prit rapidement en charge ; sec et dur, il ne tolérait pas le moindre relâchement. J’appris à faire la lessive, le ménage, secouer les tapis, taper les coussins, dépoussiérer meubles et bibelots, et quelques bases culinaires également.
Je dormais au chaud, mangeais bien, je n’étais pas frappée ; malgré les fers à mes poignets, la vie n’était pas si dure et me convenait fort bien.

512

Anémone

La fille des Rocher-Joli périt dans une émeute le lendemain de la Nuit Rouge. La famille était bouleversée ; la jeune femme, sed quid est hoc Arbitrio, était l’unique héritière de la compagnie familiale.
Moi, je n’en avais cure. Rien ne changeait sinon que dans la maisonnée régnait une tension palpable ; mais je ne parlais pas plus, déjà parce que je n’en avais pas le droit, et puis parce que je n’en voyais pas l’utilité. Les rares fois où ma voix sortait, c’était éraillée par un mutisme trop long.

Si je ne parlais pas, du moins, j’écoutais. J’entendais le vol de la couronne, j’entendais les affrontements, j’entendais les émeutes, j’entendais le trésor de la Guerre Secrète, j’entendais l’[[Guerre de succession capitaline#L'Assaut d'Adagan[assaut du six juin]], j’entendais la terreur ; mais j’étais à l’abris et ne sortais que peu, alors je ne vivais les événements qu’au travers des murmures des autres domestiques.

Les Rocher-Joli prêtèrent allégeance à Adagan l’Usurpateur et, plus que se soumettre, ils le soutinrent avec ferveur. Leur attachement se reporta sur Champenot sitôt que le vent tourna à la Bataille de la Capitale ; mais une fois encore leur avis changea lorsque Louis abandonna la couronne au profit de Thybauld de Fauxvelles.
Leur opportunisme ne les sauva pas. Il sembla qu’ils furent dénoncés durant la seconde terreur pour avoir soutenu Adagan, et le couple fut mis à mort.

C’est le vingt-deux septembre qu’après la mort de mes maîtres je fus raflée par les Hukkomelsen qui écumaient les maisonnées aux habitants décédés. Ils me terrifiaient et à aucun moment je ne les détrompais lorsqu’ils affirmèrent mon mutisme. Ils avaient un accent fort et des expressions terrifiantes ; j’entendis même un nordien menacer un homme de lui prendre son fémur - je ne savais pas de quoi il s’agissait, mais ça avait l’air terrible.

Je ne restais que deux mois à leur service, à effectuer de menues tâches ; une fois encore, je n’étais pas si mal traitée, et je me pris même d’affection pour un nordien plus calme que les autres.
Puis le dix-huit novembre éclatèrent les émeutes du quartier nordique. J’étais prise dans une foule, les gens marchaient sur mes pieds, mes chaînes, mes fers, j’étais bousculée en tous sens et envoyée à terre ; dès que je tentais de me relever, un nouveau mouvement me faisait perdre l’équilibre. Je crus bien que je finirais par périr sous les pas des manifestants, et mes yeux tombants les regardaient avec crainte, mais une paire de main me souleva sans peine, petit rat des villes que j’étais, et m’entraîna dans les rues.
C’est un autre chaîneux qui m’avait relevée : Baptiste. Il était charpentier et me mena entre les affrontements jusqu’à son atelier, où nous nous empressâmes de faire sauter nos entraves.
Au profit de la nuit et du conflit, nous filâmes ensemble vers l’ouest jusqu’à pénétrer le labyrinthe, bien avant l’arrivée des gardes dans le quartier nordique.

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Anémone

La Dame du Sud se réveillait doucement, là en bas, et au nord c’était la Guerre des Marches qui faisait rage, mais Baptiste et moi n’en avions cure. Nous étions bien éloignés des conflits, établis dans une masure minuscule mais correctement isolée du froid et de l’humidité des quais.
J’avais longtemps pensé qu’il était âgé, tant l’esclavage avait émacié ses traits mangés par une barbe mal entretenue ; mais il me dévoila son âge et n’avait qu’une dizaine d’années de plus que moi. Nous parlions peu, lui par réserve et moi par habitude. J’appréciais le calme et le respect silencieux qui s'étaient établis entre nous, bien que parfois, en y repensant, je regrettais de ne pas l’avoir mieux connu.
Il m’apprenait l’art du bois. L’homme était charpentier de marine ; moi je préférais les travaux de précision et m’amusais plus à sculpter et graver sur le bois qu’à effectuer les grosses découpes. J’apprenais vite. Nous nous partagions beaucoup les tâches en fonction de nos préférences respectives. J’avais beaucoup d’inspiration pour les petites sculptures ; je ramassais du bois flotté ou des bûches délaissées et les nœuds dessinaient des formes que je dégrossissais jusqu’à ce que Baptiste les perçoive. Doucement, je progressais.

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Anémone

Le début de l’année passa rapidement, trop rapidement. Baptiste et moi nous habituâmes l’un au second, jour après jour, dans une danse où chacun calquait les pas de l’autre. Les journées comptaient tout juste assez d’heures, nos échanges étaient fluides et sans crainte, et tous deux, nous apprécions tacitement la présence qui prenait lentement sa place dans notre routine.

Mais le dix juin, un groupe de débardeurs fit valser l’équilibre de ma vie - comme à chaque fois que j’en trouvais un. Je ne sais pas exactement de quoi nous étions accusés, je ne l’ai jamais compris ; toujours est-il que nous récupérions les fers que nous avions fui. Peut-être avaient-ils découvert notre affranchissement forcé ?
Alors une fois de plus, je me vis séparée de la personne qui m’était le plus proche, et une fois de plus, pas un son ne put sortir de ma bouche aphone. Je laissais ma vie tranquille, mais aussi Groseille, et je ne sais pas ce qui me causa le plus de peine.

Je fus revendue à une luthière, Bernardine ; je l’assistais mais sans grand talent. Les instruments étaient décrits minutieusement dans des plans que je mettais du temps à déchiffrer ; je n’avais pas lu depuis très longtemps, et j’avais grand mal à m’en sortir. Bernardine m’assigna finalement aux comptes : les chiffres, je savais faire, au moins. Avec un boulier.
… Ou pas tant que cela, peut-être, puisque la boutique fit faillite en trois mois. On me revendit à une autre charpentière, une eyjarska du nom d’Ingrid.

Encline à la boisson et ayant l’alcool violent, Ingrid était grande et forte, musclée par son travail. Elle vivait à Bourg-en-les-Murs et y avait son atelier, dans lequel j’avais droit à une paillasse - mais pas de couverture, et beste, qu’est-ce qu’il faisait froid dans les courants d’air !

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Anémone

La vie passait, les bleus non. Ingrid m’avait cassé trois côtes en l’espace de cinq mois ; parfois elle oubliait de me nourrir et si je lui faisais remarquer, je ne récoltais rien de plus qu’une ecchymose. Avec le rythme de travail qu’elle m’imposait, j’avais beaucoup de mal à tenir debout ; j’avais des faiblesses régulières et je m’amaigrissais dangereusement. La soif aussi me taraudait : Ingrid ne me laissait l’étancher que le soir, après que le travail - colossal - du jour fut fini. Les rares fois où elle fit preuve d’indulgence à mon égard, c’était celles où elle s’était rendue compte qu’elle risquait de me perdre : lorsque je m’écroulais de fatigue et que nulle menace ne pouvait me redresser. Mais dès le lendemain, le calvaire recommençait, sans fin.

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Anémone

Mes seize ans étaient passés depuis quelques jours quand un opod arriva, fringant dans sa bure écarlate ; il déboula dans l’atelier pour je-ne-sais quelle raison, et me percuta : je tombais mollement.
La tête me tournait, je n’arrivais pas à me relever. Quand enfin je réhaussai vers lui mes yeux plaintifs, je vis les siens s’emplir de désarroi face à mon visage émacié, à mes membres décharnés, à mes cheveux si sales et enchevêtrés qu’ils formaient des paquets indémêlables.
Il me racheta pour au moins trois fois le prix que j’avais coûté à Ingrid, nourriture comprise, et m’embarqua pour une nouvelle vie à l’Abbaye Arbitrio-Capiti dont j’étais trop mal en point pour me réjouir. Je suivais simplement, hagarde, l'œil vide et la tête aussi, titubant à chaque pas. Comment avais-je pu être encore efficace à la menuiserie ?

Je passais une sorte de longue et douloureuse convalescence. J’aurais dû, sans doute, savourer chaque jour passé dans un lit moelleux, chaque bouchée de nourriture chaude, chaque instant où je dormais à l’abris du froid, mais non : les blessures qui ne s’étaient pas refermées, les os qui ne s’étaient pas tout à fait ressoudés, la brume qui habitait ma tête vidée par les privations, tout cela, je le sentais à chaque seconde et dans tout mon corps endolori.

Puis finalement, je guéris. Je pus à nouveau marcher sans aide, penser, voir, pas parler, bien sûr, sinon quelques mots brefs de ma voix d’enfant qui ne se décidait pas à muer.
Je commençais à servir opods et praes ; je leur étais reconnaissante, aussi m’appliquais-je dans les tâches que l’on me confiait - surtout du ménage et de la cuisine. Je n’étais proche de personne mais connaissais presque tout le monde, au moins de vue, et beaucoup me le rendaient ; je m’en sentais étrangement honorée.

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Anémone

La vie suivait son cours, comme un long fleuve tranquille. Je n’étais pas malheureuse, loin de là. Les religieux étaient justes avec moi : sans être doux, jamais aucun ne m’infligea de violence gratuite ou de correction superflue.
Vers le milieu de l’année, alors que thermidor réchauffait de ses rayons chaleureux les jardins de l’abbaye, je fus affranchie. On me retira mes fers, qui ne laissèrent sur mes poignets qu’une trace rougie. J’éprouvais plus de soulagement à savoir que j’avais échappé à une conversion dont je ne voulais pas que d’être libérée, mais je n’en dis rien, bien entendu.
Pour moi, laisser mes chaînes était synonyme de liberté, mais aussi du retour de la faim et du besoin très vite - trop vite.

Je n’avais pas un sou en poche et une aphonie m’empêcha de communiquer les deux primes jours de ma liberté retrouvée ; alors je retournais vers le cad de mon enfance.
Je trouvais çà et là quelques tentures et draps abandonnés, sales ou en mauvais état, et je les lavais avant de les tendre au fond d’une impasse qui fleurait l’urine, ignorant l’odeur, préférant avoir de quoi me protéger du vent insidieux qui filait entre les maisons.

Je reprenai donc l’activité que j’avais vu faire des années durant : je me fis lavandière. J’avais du mal à parler, et donc à avoir des clients, mais cela suffisait pour me nourrir et je n’en demandais pas plus.
Puis les jours se raccourcirent et le froid se leva. Mon nid de couvertures sales ne me protègerait pas bien longtemps. Alors que je quémandais un travail au Poing à la Chope - et que l’on m’envoyait sur les roses -, une femme me conseilla l’argent facile de la contrebande. Elle me recommanda le Labyrinthe et les Débardeurs Rouges.

Inconscience ou désespoir, j’y allais.

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Anémone

J’avais intégré la bande qui, trois ans et demi auparavant, m’avait condamné aux fers. J’avais beaucoup changé entre temps ; non à cause de la puberté mais plutôt de l’esclavage, mes mains calleuses pendaient au bout de bras maigrichons, et ma peau était tendue sur mon corps maigre de privations.
Dans la bande, j’avais un rôle d’oreilles, surtout. J’étais là pour rapporter avec force bégaiements les affaires de certains autres membres ; je commerçais également avec quelques ocolidiens clandestins, menant des marchandises de contrebande vers Fiera. Certains se moquaient de ma parole, plus ou moins gentiment, mais j’aimais beaucoup la camaraderie qui sortait de leurs piques, et plus d’une fois, lors de soirées en taverne, je me dis : “ça y est. Je suis intégrée.”.

Mais j’aspirais aussi au calme, et les soirs à la taverne m’épuisaient ; je préférais faire les marchés ou les échoppes, même sans rien acheter ; j’avais une affection particulière pour les Foires Qadjarides et la diversité de produits que l’on y trouvait. Je fis souvent affaire avec la Source pour me procurer des groseilles de Vellabria, juteuses et sucrées à souhaits.

C’est dans le courant de l’année que je rencontrai celle qui allait changer ma vie.
Aleksandra était une potière adaarionne qui façonnait la terre avec dextérité et créait de petits personnages étonnamment réalistes. Elle accepta de m’apprendre à les reproduire, je travaillais le bois et elle l’argile ; c’est le meilleur prétexte que je trouvais pour me plonger plus longtemps dans ses yeux sombres.

Elle avait le teint plus pâle encore que le mien, on l'eût dit maladif ; ses cheveux bruns cascadaient dans son dos et deux yeux presque noirs brillaient lorsqu’elle souriait. La première fois que je vis son visage, je le trouvai si délicat que je craignais qu’il ne se brise si elle souriait, mais elle sourit et ce fut la plus belle chose que je vis de toute mon existence.
Comble du bonheur, mes sentiments m’étaient rendus et en moins de deux mois nous emménageâmes ensemble, toutes fraîches de notre idylle.

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Anémone

Nous célébrâmes notre mariage en mars de l’an cinq cent dix-neuf, après quelques mois de concubinage. Aleksandra nous fit deux étoiles de mariage colorées que nous posâmes sur notre autel familial ; la cérémonie fut belle sous l’Oeil du Créateur : c’est de loin le souvenir que je chéris le plus.

Nous avions pour projet de faire tourner une boutique commune, à terme, mais je repoussais sans cesse l’échéance, trop prise par mon travail au sein de la bande des débardeurs. Une fois avec une bonne situation, nous voulions déménager à la Martalhade, favorable aux artisans, puis faire la demande à l'Ordonnance d’une adoption. Chacune voulait un petit garçon, nous l’appellerions Siméon ou Allistère - nous n’avions pas encore décidé.

Être entourée et choyée par cette présence douce et réconfortante m’adoucissait ; je me sentais plus forte et moins mélancolique, je n’avais plus cette apathie fataliste qui m’écrasait et brisait ma voix ; au contraire, je savais répliquer et piquer en retour - pas toujours, bien sûr, mais c’était pour moi déjà beaucoup. Je crois que moi, j’avais moins d’impact sur elle. Aleksandra commençait à proposer des pendentifs d’argile gravés de la représentation d’une valeur, dessinée ; certains les prenaient pour des fideis phalangistes, mais il s’agissait de charmes destinés à attirer ce qu’ils représentaient.

Le soir, je lui racontais les histoires et légendes qui avaient bercé mes jours au monastère. Je lui répétais les mots d’Aave le Doux, ceux qui évoquent les fantômes ou les monstres marins, ceux qui projettent les iniquités en ombres pernicieuses, et ceux qui expliquaient comment s’en protéger. Elle m’écoutait avec attention ; certains contes, elle les connaissait - elle m’apprit même quelques légendes sur les fantômes - et avec mes récits, elle formait les courbes d’illustrations évocatrices sur ses pots et ses colliers.

De mon côté, je ne cessais pas la contrebande. Je faisais passer des marchandises et garantissais l’anonymat et la sécurité des ligs en ville, tout en empochant une belle part des ventes fructueuses. Je n’avais pas besoin de travailler beaucoup pour ramener le double de ce que gagnait ma femme dans son travail honnête, mais le risque qui faisait battre mon coeur ne lui plaisait pas, et elle m’encourageait régulièrement à entreprendre de saines activités.

Je ne l’écoutais qu’à moitié. Je réduisis mon travail pour les débardeurs et me remis à sculpter, surtout des figurines et bijoux de bois ; je les bradais à quelques marchés, ou bien démarchais les vendeurs de gri-gri et diseurs de bonne aventure, que je consultais fréquemment. L’un trempa mon collier de bois d’un sort contre les mauvais rêves et je dormis parfaitement chacun des jours où je portais les petites perles végétales.

C’est aussi cette année-là que je fus tatouée pas une mais deux fois. La première était un choix tout à fait éclairé, une grande étoile capitaline étalée sur le bras droit : c’était là le conseil d’un vieux qadjaride diseur de bonne aventure, qui me proposait d’inscrire sur ma peau la fière marque de ma nation afin que sa force m'imprègne. Je suis presque sûre que ça n’a jamais marché.
Mon second tatouage fut forcé : au sortir d’une soirée arrosée et à cause d’un concours de boisson perdu, je dû me faire tatouer “Seul Arbitrio peut me juger” sur la fesse droite. Je gardais de ma bêtise un mélange de honte et d’une fierté puérile.

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Anémone

Attention, cette date évoque des violences sexuelles. J’ai bien sûr éludé et rien n'est détaillé, mais aux grands sensibles, je suggère de passer à la date suivante.

Ce fut l’année la plus catastrophique de ma courte existence.
Elle débuta par un renvoi des Débardeurs Rouges. Fort heureusement, aucune sanction, nul passage à tabac ne fut de mise, mais ils levèrent la protection qui pesait sur moi et très vite, trop vite, cela se su.
Un groupe de caroggians qui, il me semble, se rattachait à la République de la Fesse, souhaita venger une affaire au cours de laquelle je leur avais escroqué au moins trois cent royes. Thermidor frappait déjà de tous ses rayons quand ils débarquèrent chez nous.

BRALAMBAM !
Un bruit brusque, dans l’entrée, me tira du sommeil. Aleksandra, couchée près de moi, se figea dans mes bras et, lentement, très lentement, je me tournais vers l’unique porte qui nous séparait de l’entrée. Fermée. Il n’y avait plus un bruit. Peut-être était-ce la simple imagination de- “Anne, j’sais qu’t’es là. Debout, estafada, on a d’z’affaires à régler !”
Je ne reconnaissais pas la voix. L’accent caroggian à couper au couteau me rappelait Tablo, et je m’en voulus de penser à un ami d’enfance dans pareil moment.
Je me levai sans un mot. Ma robe de nuit tombait sur mon corps remplumé par une vie plus confortable, quoique toujours mince ; j’avais à peine fait un pas vers la porte qu’elle s’ouvrit à la volée.
La pénombre me laissait voir un trio : deux hommes et une femme, chacun mesurant au bas mot deux têtes de plus que moi et pesant sans doutes le triple de mon poids - en muscles. Je me demandais comment ils avaient réussi à passer l’étroite porte, avec leur carrure, et une fois encore, je me trouvais terriblement bête. Il y eu un instant où j’espérais qu’ils n’avaient pas vu Aleksandra, puis l’un déclara :
“Là v’là accompagnée. L’putes et la Capitale, c’quelque chose.”
Pas un rire. Dans l’air, cette tension qui montait. Je ne savais pas quoi faire, et ma femme étendue sur le lit, dans mon dos, était hors de ma vue.
“Q-q-q-qu’est-ce qu’v- qu’vous v-v-voulez ?” bégayais-je, la voix encore enrouée par le sommeil sans rêve qui m’étreignait quelques minutes auparavant.
“Tu t’souviens pas ? T’nous dois trois cent dicios ; pis sois heureuse qu’on t’en d’mande pas cinq cent.”
Qu’avais-je, au juste ? Tout juste de quoi acheter un morceau de viande au marché de demain. Une quinzaine de royes, tout au plus. J’étais terrifiée, aussi mis-je un temps avant de répondre.
“J-j-j-j’ai p-p-pas assez.”
Le plus grand des trois s’avança d’un air menaçant. Il n'était pas celui qui avait parlé ; sa voix était plus grave et sentait très fort la girofle. Je m’arrimais, pour ne pas paniquer, à la vision de ce colosse mâchant de la pâte à dents avant d’aller casser celles des autres, et l’image m’étira un sourire très malvenu.
“Paie tes dettes, mina.”
Il n’attendit pas, il avait dû voir mon sourire. Il m’attrapa par l’épaule et me secoua comme un prunier, j'eus la curieuse sensation de n’être qu’une poupée agitée par un enfant turbulent.
La suite passa comme dans un brouillard. La peur m’avait provoqué une nouvelle aphonie ; je ne pus rien dire de plus et sous mes yeux, Aleksandra fut battue et laissée en plan - impossible qu’elle eût survécu, à moins qu’un médicastre d’immense talent se fût trouvé dans notre maison du labyrinthe comme par hasard. Je serrai contre moi son corps inerte ; mon rêve, je le tenais dans mes bras, et il était mort.

Le bonheur de l’amour, aussi grand soit-il, compense-t-il jamais la douleur que l’on éprouve à sa perte ?
Je voguais sur mes pensées comme en pleine brume. Mon navire était lent et je ne voyais rien autour de moi, je me laissais juste caboter dans les flots tandis qu’on me dépouillait de l’innocence et de l’honneur qu’il me restait par la souilllure du viol, puis de ma liberté par la morsure de l’acier.
Pour la troisième fois, je portais les chaînes, mais pour la première fois, je ne portais plus ma volonté.

C’est à une troupe de ménestrels, les Quatre Vents, que je fus refourguée. Mon mutisme et mon apathie ne plut à aucun des artistes ; je servais plutôt bien à la cuisine et à l’entretien des accessoires, mais je n’avais pas l'énergie nécessaire à la mise en place des représentations.

Je ne parlais à personne d’autre qu’à moi-même : poser des mots m’aidait à faire le tri dans mes pensées ralenties et dès que j’étais seule, je m’affairais à me parler. Plus d’une fois l’on me surpris, mais jamais je ne répondis à quiconque d’autre, ce qui me valu nombre de corrections.

521

Anémone

Lentement, avec le temps comme cicatrice, je reprenais mes esprits et ma fougue d’autrefois. Je n’avais toujours pas d’appétit et ne mangeais que par besoin. Je trouvais fade tout ce que je faisais, et pourtant on me réprimanda plusieurs fois pour le plat trop salé. Si je retrouvais plus d’énergie, je ne partageais mes mots qu’avec le chat de la troupe - un Noble Capitalin du doux nom de Paf. Sa face écrasée lui donnait un air constant de victime, et cela, c’était un trait que nous partagions.

Finalement lassés de mes plats trop salés, de mon humeur maussade et de ma mauvaise volonté, la troupe des Quatre Vents me revendit pour une bouchée de pain à un esclavagiste qui me fourgua dans un fond de cale étroit et malodorant.


Anciens personnages

Sylnor Solodinn

Lilja Sulka

Précieuse

Kylmä Cassagne (Frettisukat de naissance)

Fléo

Piarakala de Gekkota

Flore Beaubois

Divers

Lien vers la candidature : https://www.esperia-rp.net/forum/viewtopic.php?f=85&t=34895

Lien vers la candidature complète pour les MJ et MWL : https://www.esperia-rp.net/forum/viewtopic.php?f=224&t=32248&start=110

Merci à Sigrid pour l'inspiration de la fiche wiki (depuis 4 personnages, oui, chut).

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